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comme étrangers à Nancy, et l’on vit bien dans le traitement différent que subirent les populations les destinées différentes que leur réservaient les conquérans. L’administration prussienne se montra infiniment plus dure, plus tracassière, plus rapace dans la Lorraine française que dans la Lorraine prétendue allemande. A part quelques persécutions dirigées contre le Courrier de la Moselle, la presse fut beaucoup plus libre à Metz qu’à Nancy. Les logemens militaires y constituèrent une charge moins lourde, à laquelle ne venait pas s’ajouter l’obligation de nourrir le soldat ; les Messins recouvrèrent presque aussitôt les fusils de chasse, dont on avait d’abord exigé le dépôt, tandis que les habitans de Nancy, des Vosges et de la Meuse en sont encore à les réclamer. En revanche, si les fonctionnaires français étaient tolérés dans le gouvernement de Lorraine, tous ceux qui, à Château-Salins et dans la Moselle, refusèrent de continuer leurs fonctions en prêtant serment au roi de Prusse furent persécutés, puis « expulsés du territoire allemand. » Nous avons sous les yeux la lettre d’un percepteur français qui subit trois sommations de reconnaître le nouveau gouvernement, plusieurs perquisitions domiciliaires, pour retrouver les archives qu’il refusait de livrer, sept semaines de détention à Metz, au secret et en contact avec des malfaiteurs, finalement l’expulsion. Combien d’autres furent en butte aux mêmes vexations !

À la tête du « gouvernement général de Lorraine, » furent placés deux hauts fonctionnaires. M. le gouverneur-général von Bonnin, général d’infanterie, aide-de-camp du roi de Prusse, s’installa avec son état-major dans le palais bâti par le roi Stanislas sur l’emplacement de la demeure gothique des anciens ducs, et où avaient résidé successivement, comme commandans de grande division militaire, les maréchaux Pélissier, Canrobert, Mac-Mahon, Forey ; M. le marquis de Villers, vice-président de la régence de Cologne, fut investi des hautes fonctions de commissaire civil pour les puissances alliées. M. de Bonnin, grand vieillard encore vert, avec sa courte et épaisse moustache grise, portait assez gaillardement la casquette à large bande rouge, les cinq ou six décorations obligées, et, comme il convient à tout bon guerrier ou même employé prussien, ne quittait jamais l’uniforme. On le croyait d’un caractère assez doux ; ami de la bonne chère et des promenades en voiture confortable aux frais de ses administrés, ses proclamations, en dépit des sanctions comminatoires, avaient quelque chose de paternel, et l’on assure qu’il exécutait à regret des ordres atroces. Quant au marquis de Villers, il est, comme son nom l’indique, d’origine française, et une partie de sa famille est encore en Lorraine. Il est né à Sarrelouis, et, malgré l’annexion de cette ville à la