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talité de la force dont il tirait son droit ; il requérait toujours le maximum de la peine, et naturellement il obtenait gain de cause. D’un flegme imperturbable, il avait un rire en dedans véritablement sinistre. Il avait l’air de juger à la turque, mais c’était sur des dossiers admirablement préparés. Le temps qu’il ne passait pas dans son cabinet ou au tribunal, on le trouvait à la prison. C’est là qu’il interrogeait sommairement les prévenus et prononçait sur leur maintien dans la geôle ou leur élargissement.

Cet homme fut longtemps la terreur de nos campagnes. C’est lui qui se transporta à Vézelise, à la première nouvelle de la mésaventure de ses gendarmes. Il arriva dans la soirée avec une escorte imposante ; il réunit sur la place les habitans consternés, leur ordonna de se tenir debout, la tête découverte, et leur reprocha en termes effrayans de violence leur prétendue complicité avec les francs-tireurs. La fureur le gagnant, il s’écria en tourmentant la poignée de son sabre avec un accent impossible à rendre : « Eh bien ! c’est moi qui brûlerai !… c’est moi qui pillerai !… c’est moi qui exterminerai !… » Et la première exécution commença. À Fontenoy-sur-Moselle, il fit remettre le feu à plusieurs reprises et activa l’incendie par un emploi méthodique et judicieux du pétrole. Rien n’égalait à l’occasion le cynisme et la brutalité de son langage envers les vaincus. C’est lui qui disait à une dame respectable contre laquelle ses hôtes prussiens avaient porté plainte : « Vous résumez en vous toutes les méchancetés de cette odieuse race française. » C’est lui qui, recevant la visite d’un médecin de Longwyon, qui venait l’implorer pour ses compatriotes, répondait à ses prières : C’est un pays de canailles, vous êtes tous pour les Français. » Ce bizarre représentant de la justice tudesque qualifiait assez bien son rôle et la situation : « Je ne suis que l’outil de mon gouverneur. »

À l’apparition des premières troupes allemandes en Lorraine, les journaux du pays, privés de nouvelles, se trouvèrent réduits à la moitié de leur format, et, se faisant de plus en plus petits, prirent le caractère d’une simple feuille volante. Ceux de Nancy ne publièrent que de rares et timides nouvelles, et désignaient les noms propres par les initiales. Tels qu’ils étaient, ils excitèrent pourtant les susceptibilités de l’administration allemande. Il fut d’abord question de censure, et les pauvres follicules s’y seraient soumises volontiers ; mais le maire leur donna l’avertissement officieux qu’elles « excitaient une grande irritation chez les autorités prussiennes et pourraient attirer sur la ville des rigueurs déplorables. » Alors elles se résignèrent « à faire à leurs concitoyens le sacrifice de leur publication en attendant des jours meilleurs. Quand Metz capitula, le rédacteur du Courrier de la Moselle fut d’abord jeté en prison, sur