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fournir à cette bureaucratie paperassière une quantité inappréciable de papier. Au palais du gouvernement, on ne se refusait rien : on réquisitionnait jusqu’à un verre en cristal, jusqu’à un valet de chambre, jusqu’à un tire-botte ! La ville eut à payer au mois de janvier, pour le compte de l’état-major, une note de 37,729 fr. 70 cent., que ces austères guerriers avaient consommés en moët de première qualité, perdreaux truffés et fine Champagne. Les malheureux conseillers, en permanence à l’hôtel de ville, étaient littéralement accablés de bons de réquisitions, d’explications en jargon semi-tudesque, ponctuées quelquefois par des cliquetis de sabre. Ici, il fallait un corbillard pour une ambulance ; là, une calèche pour un officier amateur de promenade. Il fallait tantôt faire courir chez l’épicier et tantôt chez le pharmacien. La ville devait non-seulement approvisionner ses huit ou dix ambulances, mais encore celles de Pont-à-Mousson et du pays messin. Elle avait à fournir jusqu’à la table du prince Frédéric-Charles, en son quartier général de Corny, Une réquisition du 30 septembre demande pour lui :

« Trois cuisseaux de veau, deux dos de veau, six poulardes, trois oies, cinq canards, trois dindes, un panier de choux-fleurs, des épinards, des petits pois (en septembre !), des haricots verts et blancs, deux pots de sardine, 10 kilogrammes de beurre, des fromages divers, un panier de concombres, huit melons, trente poires fondantes, vingt-cinq pêches, du raisin. »

Dans une autre, du 17 octobre, dominent au contraire le poivre, le gingembre, les clous de girofle, les noix muscades. Les réquisitions de vins de Champagne, de Bourgogne, de Bordeaux, « du vieux, du bien vieux, » abondaient aussi tantôt pour les tables d’état-major, tantôt pour les ambulances ; d’un seul coup, le 6 septembre, deux cents bouteilles et demie de Champagne pour l’ambulance de Gorze. Un infirmier, à qui l’on faisait observer que vingt—cinq bouteilles pour vingt-cinq malades, c’était peut-être beaucoup, répondait avec une ingénuité bien propre à désarmer la critique : « Ach ! il y a aussi le personâl. »

Nancy payait surtout en objets de luxe et de gastronomie ; les campagnes étaient obligées de fournir le blé, l’avoine, le fourrage, les chevaux, les voitures eL les voituriers : le tout, suivant la formule en usage, « payable par le vaincu. » Une amende considérable punissait même le simple retard. Lorsque les troupes allemandes, à la faveur de l’armistice, occupèrent au mois de février le canton de Lamarche dans les Vosges, que les francs-tireurs avaient jusqu’alors protégé, les officiers prussiens invoquèrent un article de