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Au fond, la question n’est donc pas de savoir si c’est l’état ou le département et la commune qui doivent payer la subvention destinée à réparer les malheurs et les pertes de la guerre. La question de l’article 8 de la loi des loyers, quoiqu’elle ne fût applicable qu’à Paris, était de savoir si l’ensemble des contribuables pouvait payer l’ensemble des indemnisables, en d’autres termes si les malheurs de tout le monde pouvaient être réparés par la subvention de tout le monde.

Ainsi définie, la question aboutissait à ce problème insoluble que M. Baragnon a montré à la chambre à la fin de la discussion, et que la chambre a repoussé loin de ses yeux aussitôt qu’elle a consenti à le voir, mais auquel nous prédisons qu’elle reviendra souvent pour tâcher d’en adoucir au moins la désolante raideur.

Si on voulait résoudre heureusement ce rude et terrible problème, était-ce sur Paris qu’il fallait le poser au début ? était-ce par là qu’il fallait l’aborder ? M. Langlois disait un jour fort ingénument que l’assemblée n’avait pas très bonne réputation dans Paris. Paris non plus n’a pas très bonne réputation dans l’assemblée. Cela tient à bien des choses. Cela tenait, dans la question des loyers, au doute qui s’élevait de savoir si les pertes que l’investissement ennemi avait causées à Paris étaient plus grandes que celles des autres départemens envahis. Était-ce à Paris seulement qu’on avait souffert, les locataires de la diminution ou de la suppression de leurs jouissances, les propriétaires du défaut de paiement des loyers ? Dans combien de nos villes, de nos bourgs et de nos villages, les propriétaires n’ont-ils pas vu leurs immeubles détruits de fond en comble ? Combien de locataires industriels ont perdu, outre leur jouissance des lieux, leur outillage, c’est-à-dire l’instrument de leur travail ! Combien de fermiers ruinés et qui ne paieront pas leurs fermages ! Pourquoi réparer par privilège les pertes parisiennes, et ne rien faire pour les pertes de nos départemens ? Il faut tout réparer ou ne rien réparer. Il faut que l’état soit la providence universelle, s’il le peut, ou qu’il ne soit point la providence seulement de quelques-uns.

Voilà l’argument pris dans l’égale loi du malheur public, et cet argument faisait son effet sur les bancs et dans les conversations privées de la chambre, pendant que la loi était défendue à la tribune comme une loi politique. À la tribune, la loi d’exception se soutenait fort bien. Sur les bancs, la loi d’inégalité privilégiée se démolissait peu à peu.

La loi des loyers avait fort bien compris qu’il ne fallait pas obliger l’état à tout réparer ; il ne pourrait pas y suffire. C’eût été créer par l’épuisement financier de l’état l’impuissance sociale, politique et militaire de la France, et cela pour toujours ; de plus, comme l’état est tout le monde, beaucoup de gens s’habituent à croire que ce n’est personne, et qu’on peut charger l’état sans faire tort à aucun contribuable. Aussitôt que l’état se serait trouvé chargé par la loi de payer les indemnités de