Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une voiture fort élégante, qui est mise à sa disposition pour les visites ; en outre mon ami Valentin, valet de chambre du propriétaire, sera à ses ordres à toute heure de jour et de nuit.

— Le tout pour… combien d’argent ? dit Mourzakine avec un peu d’inquiétude.

— Pour une bagatelle : cinq louis par jour, car on ne suppose pas que son excellence mangera chez elle.

— Avant de conclure, dit Mourzakine, effrayé d’être ainsi rançonné, mais n’osant discuter, vous allez porter une lettre à l’hôtel Talleyrand.

Et il écrivit à son oncle : « Mon cher et cruel oncle, quel mal avez-vous donc dit de moi à ma belle hôtesse ? Depuis votre visite, elle me persifle horriblement, et je sens bien qu’elle aspire à me mettre à la porte. Je cherche un logement. Vous qui êtes déjà venu à Paris, croyez-vous qu’on me vole en me demandant cinq louis par jour, et que je puisse me permettre un tel luxe ? »

Le comte Ogokskoï comprit. Il répondit à l’instant même : « Mon frivole et cher neveu, si tu as déplu à ta belle hôtesse, ce n’est pas ma faute. Je t’envoie deux cents louis de France, dont tu disposeras comme tu l’entendras. Il n’y a pas de place pour toi à l’hôtel Talleyrand, où nous sommes fort encombrés ; mais demain tu peux reparaître devant le père : j’arrangerai ton affaire. »

Mourzakine, enchanté du succès de sa ruse, donna l’ordre à Martin de conclure le marché et de tout disposer pour son déménagement. — Vous nous quittez, mon cher cousin ? lui dit le marquis à déjeuner ; vous êtes donc mal chez nous ?

La marquise devint pâle ; elle pressentit une trahison : la jalousie lui mordit le cœur. — Je suis ici mieux que je ne serai jamais nulle part, répondit Mourzakine ; mais je reprends demain mon service, et je serais un hôte incommode. On peut m’appeler la nuit, me forcer à faire dans votre maison un tapage du diable

Il ajouta quelques autres prétextes que le marquis ne discuta pas. La marquise exprima froidement ses regrets. Dès qu’elle fut seule avec lui, elle s’emporta. — J’espérais, lui dit-elle, que vous prendriez patience encore quarante-huit heures avant de voir Mlle  Francia ; mais vous n’avez pu y tenir, et vous avez reçu cette fille hier dans ma maison. Ne niez pas, je le sais, et je sais que c’est une courtisane, la maîtresse d’un perruquier.

Mourzakine se justifia en racontant la chose à peu près comme elle s’était passée, mais en ajoutant que la petite fille était plutôt laide que jolie, autant qu’il avait pu en juger sans avoir pris la peine de la regarder. Puis il se jeta aux genoux de la marquise en jurant qu’une seule femme à Paris lui semblait belle et séduisante, que les