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général d’Aurelle était prudent : il ne considéra que la position aventurée du 15e corps et l’impossibilité de défendre Orléans contre une nouvelle attaque. Sa résolution fut bientôt prise. Dans la nuit du 3 au 4, il télégraphiait au ministre de la guerre à Tours qu’il était nécessaire d’évacuer Orléans, et d’opérer la retraite des divers corps de l’armée sur la rive gauche de la Loire.

Ceci n’était pas l’affaire du gouvernement de Tours. M. Gambetta venait d’annoncer à la France avec un enthousiasme lyrique deux grands événemens militaires féconds en résultats, la sortie de l’armée de Paris et le mouvement en avant de l’armée de la Loire. Le 2, il faisait connaître partout que celle-ci avait débuté par un succès. Quelle désillusion, s’il fallait, à deux jours d’intervalle, annoncer que cette même armée, l’espoir de la république, effectuait un mouvement de recul sur la rive gauche ! Il insista donc pour que d’Aurelle concentrât toutes ses troupes sur Orléans, et y fît une résistance désespérée. On a vu qu’une telle concentration était à peu près impossible, eu égard aux conditions de temps et de lieux dont l’ennemi profitait. D’Aurelle de Paladines eut le tort de ne pas maintenir sa décision avec fermeté ; il transmit aux chefs de corps, le 4 au matin, l’ordre de se diriger sur Orléans. C’était trop tard ; le mouvement ne fut pas même effectué. Les événemens de cette journée confirmèrent la sagesse de sa première résolution.

Le dimanche 4 décembre ne ressemblait guère au dimanche qui l’avait précédé. La température était plus froide que la saison ne le comporte ; la terre était gelée. Dès l’aube, de longues files de chariots traversaient la ville sans s’arrêter, et se dirigeaient vers le pont de la Loire, annonçant ainsi à la population attristée que l’armée battait en retraite. C’étaient des véhicules de toute forme, des attelages de toute nature : c’était en un mot ce bizarre assemblage d’hommes, de bêtes et de voitures qui composent les transports auxiliaires d’une armée. La gare du chemin de fer était encombrée de soldats, la plupart sans armes ni sacs, à la mine hâve et souffrante, blessés ou soi-disant tels, qui s’empilaient dans les wagons. De temps en temps, des voitures d’ambulance aux couleurs blanche et rouge ramenaient de malheureux estropiés pour qui tout mouvement semblait être une horrible souffrance. Les rues se remplissaient peu à peu de fuyards ; ils arrivaient par bandes de quatre, de dix, de vingt, engourdis par le froid, épuisés par la fatigue et par le manque de nourriture. Ces hommes venaient du champ de bataille, mais qui les avait autorisés à partir ? On ne voyait avec eux ni officiers, ni sous-officiers. D’un autre côté, on apercevait dans les restaurans et les cafés quantité d’officiers en bonne tenue ; que faisaient-ils dans la ville à un pareil moment ? La confusion régnait partout ; la hâte du départ et l’inquiétude se lisaient sur la plupart