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la terre gelée avant que personne vînt à leur secours ! Loin de nous la pensée d’incriminer la conduite des ambulances volontaires qui accompagnaient l’une et l’autre armée. Les membres de ces associations charitables montrèrent pendant cette abominable campagne d’hiver une activité, un dévoûment, dignes de notre admiration ; mais les victimes étaient si nombreuses que les ambulances n’y suffisaient point.

Ainsi qu’on l’a vu, depuis la reprise d’Orléans jusqu’à la fin de décembre, tout le poids de la lutte était tombé sur la 2e armée, commandée par le général Chanzy. Que devenait pendant ce temps la première armée, sous les ordres de Bourbaki ? M. Gambetta s’était rendu au quartier-général de Bourges, après avoir visité les cantonnement de Chanzy. Il devait y être vers le 12 décembre. Il était temps encore de faire avancer cette armée, qui avait le champ libre devant elle. La route de Montargis et de Fontainebleau lui était ouverte, puisque l’ennemi avait tout au plus une dizaine de mille hommes à Orléans et dans les environs. Quoique nous eussions des forces incomparablement supérieures, il est probable qu’une marche directe sur Paris aurait amené des complications dont il serait téméraire d’imaginer les résultats. En tout cas, cela aurait sauvé la 2e armée, qui s’était déjà mise en retraite. D’autres pensées occupaient sans doute ceux qui avaient assumé la lourde charge de dresser nos plans de campagne. L’idée d’opérer une puissante diversion dans l’est était en discussion. Une quinzaine de jours furent perdus en préparatifs, et enfin les régimens, embarqués dans les wagons l’un après l’autre, prirent la route de Chagny pour entreprendre cette déplorable campagne de Franche-Comté dont l’issue devait être si funeste. On prétend que le général Bourbaki lui-même ne se résignait qu’à regret à diriger des opérations dont, à défaut de génie, il avait le bon sens de prévoir les immenses difficultés. On l’entendait dire à ses familiers : « Je n’ai pas confiance en mes troupes, et mes troupes n’ont pas confiance en moi. » Quelle triste situation pour une grande nation de n’avoir plus que des généraux qui parlent ainsi et un gouvernement qui ne tient nul compte de l’avis de ses généraux ! Quand on réfléchit qu’au pis aller, en restant uniquement sur la défensive, la France se fût trouvée, après la capitulation de Paris, avec une armée de 120,000 hommes devant Gien, tandis que Chanzy aurait été intact devant Le Mans, on se dit que ce qui nous a le plus manqué dans nos désastres, ce ne sont pas les hommes, ni les canons, ni une bonne organisation militaire ; ce qui nous a manqué, ce sont des chefs capables de mettre en œuvre les ressources inépuisables que la France prodiguait à son gouvernement.