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sans appeler aussitôt les autres. La devise nationale, que l’on peut lire se relevant en bosse sur tous les casques pointus de l’armée, est : « Avec Dieu, pour le roi et la patrie. » Ce que le roi veut, Dieu le veut, la Prusse le désire, et l’Allemagne s’en trouvera bien. L’empereur Guillaume, qui révère en sa personne et ajuste titre le type le plus accompli du Prussien, a proclamé un jour cette maxime profonde : « Ainsi que l’a dit mon frère, qui repose en Dieu, tout ce qui est acquis à la Prusse est acquis à l’Allemagne[1]. » La phrase fut trouvée belle ; les Prussiens l’admirèrent fort, et l’Allemagne en fit le programme mystique de ses conquêtes. Voilà ce que l’on apprend de plus clair dans les écoles prussiennes.

La question est de savoir non pas si l’on peut lire plus ou moins bien, mais à quelles lectures on se livre. La mesure de l’instruction d’un peuple n’est pas dans le nombre de gens qui savent déchiffrer les caractères imprimés, elle est dans l’usage qu’ils font de cette faculté. En Prusse, tout l’enseignement moral est entre les mains du clergé, dont les maîtres ne sont que les humbles répétiteurs. Cet enseignement, tout religieux, prend entre les mains des pasteurs et des curés une couleur monarchique très prononcée ; ils font à leurs élèves un véritable cours de « politique tirée de l’Écriture sainte » et appropriée à la « mission providentielle des Hohenzollern. » Quant aux livres populaires, ils sont pour la plupart soigneusement élaborés sous la haute direction des consistoires, et quand ils ne se bornent pas à une simple morale en action ou à des contes bleus, ils confirment, reprennent, amplifient les traditions historiques reçues à l’école. La rude économie des premiers margraves, les hauts faits de Frédéric le Grand, et par-dessus tout les guerres soutenues contre la France, forment le fond de ces leçons, embellies d’anecdotes sur la bonté des rois de Prusse et la barbarie des Français. On fait à ces pauvres gens d’épouvantables tableaux de notre immoralité ; ils les prennent pour argent comptant, et y croient de même qu’aux crimes de Babylone. Comme nous sommes riches, ou, pour dire plus vrai, hélas ! comme nous étions riches, tandis qu’ils sont pauvres, que nous les avons battus souvent et humiliés longtemps, les rancunes nationales se doublent aisément de convoitises privées, et ils se donnent volontiers la mission de châtier les crimes de la France tout en enrichissant la Prusse. La musique, qui se mêle en Allemagne à toutes les manifestations de la vie, contribue puissamment aussi à renforcer dans leurs âmes les mêmes idées simples. Le peuple chante à tout propos les lieder patriotiques de 1813, et les enfans s’endorment sur cette pensée

  1. Proclamation aux Hanovriens après l’annexion.