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que « la patrie allemande s’étend aussi loin que la langue germanique résonne sous le ciel de Dieu. » Les journaux les plus répandus dans les campagnes et les petites filles sont parfaitement insignifians et pleins d’ailleurs de déférence pour les inspirations de l’autorité. Les anecdotes sur la famille royale et la bonhomie du vieux roi y tiennent une grande place. Elles sont fort goûtées du peuple : la Prusse entière s’est émue l’an dernier en apprenant que le roi s’était foulé le pied un soir de veille de Noël qu’il montait par un escalier dérobé des jouets à ses petits-enfans. À son retour de Versailles, l’empereur se rendit dans un de ses châteaux ; il sort dans le parc, aperçoit un des enfans du prince royal, et lui fait signe d’approcher. L’enfant se retourne ; mais, au lieu d’accourir, il s’arrête, se met dans le rang, fait le salut à la prussienne, et attend sans broncher le passage de son grand-père : il fallut que celui-ci le soulevât de terre pour l’embrasser, et même dans les bras du chef de sa famille l’auguste baby restait obstinément en position. L’histoire fit le tour de la presse provinciale. On en pourrait conter indéfiniment de la même sorte, et montrer à quel point l’éducation qu’on leur donne a confondu dans l’esprit des populations prussiennes la notion de la royauté avec celle du pays. Il y a bien les grands journaux, qui sont nombreux en Allemagne ; mais ils ne font que donner aux mêmes idées une forme plus abstraite, et ils ne pénètrent point jusqu’à la masse du peuple. Ils sont compactes de texte et confus d’expression ; les paysans les lisent peu et ne les comprennent guère.

On n’apprend pas beaucoup de choses aux écoliers ; mais on leur apprend tout ce qui est nécessaire pour faire d’eux de fidèles sujets et de bons soldats. On détermine avec précision, on fait répéter avec soin le rôle de chacun, et, chacun ensuite remplissant ce rôle en conscience, la machine, si compliquée qu’elle paraisse, fonctionne avec la puissance que nous avons pu constater. En Prusse, à chaque croisement de routes, on rencontre un poteau sur lequel sont indiqués la régence, le cercle, la commune et le bataillon de landwehr sur le territoire duquel on entre ; on voit encore autour de Versailles des indications analogues. Les Allemands circulaient là comme chez eux, et paraissaient souvent de la sorte connaître le pays mieux que ne le connaissaient ses propres habitans. De même, on avait distribué dans l’armée de petits dictionnaires de poche où les mots usuels étaient traduits en français avec la prononciation figurée : les soldats les répétaient, le plus souvent sans les comprendre. Ils étaient incapables de bâtir une phrase ou d’exprimer une idée ; mais ils avaient de quoi remplir leur devoir de soldat, et c’était tout ce qu’il fallait. Bref, on décompose leurs exercices intellectuels tout