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frapper les habitans d’épouvante ; l’administration croyait son but atteint. Elle s’occupa de recueillir les impôts établis par le gouvernement français : le département du Bas-Rhin est le septième ou le huitième des départemens français pour l’importance des produits financiers. Le gouvernement général voulut aussi assurer les services forestiers, ceux des ponts et chaussées, ceux des canaux, qu’il était dangereux dans son propre intérêt de voir interrompus. Il fallait obtenir des titulaires qu’ils gardassent leurs fonctions jusqu’à l’installation très prochaine des successeurs allemands. Le commissaire civil s’adressa à l’honneur de ces fonctionnaires ; les termes mêmes de cette lettre circulaire doivent être cités : « La fonction publique impose un devoir d’honneur (le mot est souligné dans le texte officiel) ; on ne fait appel qu’à l’honneur et à la conscience des fonctionnaires pour compter sur l’observation stricte de leur devoir. Ce sentiment leur défendra tout acte contraire à l’intérêt de l’administration actuellement établie[1]. » Ainsi c’est un devoir d’honneur pour un comptable français de percevoir les impôts au bénéfice des soldats allemands. — Une ordonnance précédente avait arrêté que tout agent financier qui délivrerait une somme quelconque à une autorité française, par exemple qui paierait aux employés leurs traitemens échus, verrait ses biens confisqués, et serait traduit au cas échéant devant la cour martiale[2] ; — ainsi c’est un devoir d’honneur à l’administration forestière de remettre en temps de guerre ses plans aux armées ennemies, aux ingénieurs de réparer les canaux pour les transports allemands, aux contrôleurs de vous livrer le cadastre avant la paix régulièrement signée, aux employés des chemins de fer de transporter vos troupes, et c’est ainsi que vous entendez la neutralité des fonctionnaires. Ce sont là des services que vous pouvez demander les armes à la main, que vous pouvez exiger par le droit du plus fort ; mais faire appel à l’honneur, c’est vraiment parler une langue que vous ne comprenez pas. « L’honneur de la France est-il donc si différent de celui des autres nations ? » disait naguère M. de Bismarck ; — de l’honneur allemand, de cet Ehrenpflicht que vous invoquez ? Mille fois oui.

L’école et l’église ont en tout pays une puissance morale que le conquérant, dans la doctrine allemande, doit mettre de son côté. Le commissaire civil prit en main, dès le 21 septembre, les pouvoirs attribués aux académies de Strasbourg et de Nancy. Il déclara fermés tous les collèges de la province, — le seul département du Bas-Rhin en compte huit, — il eût été difficile de faire accepter aux professeurs de ces établissemens les idées allemandes. En même temps,

  1. Nouvelles officielles pour le gouvernement de l’Alsace, no 3. Die Amtspflicht ist eine Ehrenpflicht.
  2. Journal officiel, no 3, page 2. Ordonnance du 29 août 1870.