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reçu trois cent trente-deux personnes, dont cent femmes. Partout les conseils municipaux subissent l’autorité de fait ; mais on ne peut leur arracher aucun acte qui soit une marque de sympathie à l’égard de l’Allemagne. C’est ce qui explique pourquoi le gouvernement n’a pas donné suite à son projet de délivrer les habitans des charges militaires. À l’entrée de M. le général de Werder, après la capitulation, on donna le choix au maire entre une imposition écrasante et sa présence à un service religieux à Saint-Thomas. M. Küss crut qu’il fallait plus de courage pour oser braver l’opinion de ses administrés et assister à ce service que pour se renfermer dans un refus : M. de Werder le vit à côté de lui. Quelques semaines plus tard, l’autorité imposa une somme de 2 000 thalers par jour à la ville pour l’entretien des troupes ; comme cette mesure se discutait dans le conseil, le préfet fit entendre que Strasbourg, refusant d’envoyer une adresse à Versailles, devait s’attendre à toutes les rigueurs. La ville subit la taxe. Le mauvais vouloir et, comme on dit en Allemagne, la folie française de l’Alsace justifiaient aux yeux de l’autorité ces punitions ; ainsi se trouvèrent justifiées plus tard la nécessité imposée aux communes de donner pendant l’armistice 5 thalers d’argent de poche par jour à tous les officiers de l’armée d’occupation, et vingt autres preuves matérielles du mécontentement de l’Allemagne.

L’attitude des fonctionnaires français était un danger ; ils s’étaient cependant bornés à refuser de servir l’autorité allemande. On en expulsa un grand nombre, surtout ceux auxquels on supposait quelque influence, les receveurs et les juges de paix de canton, les chefs judiciaires, les directeurs de service. La cour de Colmar et les tribunaux furent décimés ; les professeurs du lycée de Strasbourg reçurent l’ordre de quitter le gouvernement général dans trois jours sous peine d’être transportés à Spandau et retenus à leurs frais dans la citadelle. Des commissaires de police avaient constaté que ces professeurs donnaient des leçons en français à quelques élèves particuliers. M. Zeller, recteur nommé, qui était venu en Alsace pour y prendre les intérêts des fonctionnaires de l’instruction publique, dut presque aussitôt quitter la province. Durant un mois, on expulsa régulièrement chaque jour deux ou trois agens des finances. Ces mesures ne suffisaient pas ; il fallait des exemples plus sérieux : sur six chefs de service pour les finances dans le Bas-Rhin, trois furent mis en prison. L’un d’eux, M. Buisson, avait signé un certificat constatant qu’un des fournisseurs de son administration avait toujours rempli ses engagemens : c’était là un témoignage qu’il ne pouvait refuser ; mais, comme il avait cessé officiellement ses fonctions depuis quelques semaines, il fut accusé d’exercer une fonction publique qui ne lui appartenait plus, condamné à deux ans de détention, à une forte