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n’a fait que se conformer à ses antécédens. Dès le 27 février, il avait tendu la main à la deuxième république française ; dès le 6 décembre, il accepta le régime du 2 décembre, né aussi d’un coup d’état. Il nous est donc permis de donner un témoignage de sympathie à la France. Sans doute la politique de sympathie à ses inconvéniens et ses dangers ; mais on n’a jamais rien fondé de durable avec une politique sans cœur. »

Ainsi, tandis que d’une main le conseil fédéral tirait en avant les traînards, de l’autre il refoulait les fougueux en arrière. Dès le 4 septembre, un manifeste de l’Association internationale des travailleurs était lancé de Neuchâtel aux socialistes de tous les pays. On devine le contenu de ce placard. « Prenons les armes pour la France républicaine contre l’Allemagne monarchique !… Versons notre sang pour la cause de l’ouvrier, de l’humanité tout entière… Vive la république universelle ! » Une circulaire invita les cantons à saisir les imprimés de ce genre. Par bonheur, ces phrases n’eurent aucun succès même dans les ateliers ; elles ne provoquèrent qu’une protestation des ouvriers de Neuchâtel. La Suisse ne fut donc pas forcée de sévir contre les petits « partageux » pour échapper aux reproches des grands ; mais surgit une question où elle eut besoin de toute sa sagesse et de toute son équité pour ne pas commettre une mauvaise action : ce fut la question de la Savoie.

Il importe ici de préciser les faits. D’après les traités de 1815, certaines parties de la Savoie du nord devaient jouir d’une neutralité semblable à celle de la confédération helvétique, et pouvaient être occupées militairement, en cas de guerre, par les troupes de cette confédération. Après la campagne d’Italie, il fut stipulé, dans le traité de Turin du 24 mars 1860, que le roi de Sardaigne ne pouvait « transférer les parties neutralisées de la Savoie qu’aux conditions auxquelles il les tenait lui-même, » et qu’il appartiendrait à l’empereur des Français de s’entendre à ce sujet avec la Suisse et les puissances signataires des traités. Or l’empereur des Français ne s’entendit à ce sujet avec personne. La Suisse eut beau réclamer, la question resta pendante jusqu’à la guerre de l’an dernier. Au début de cette guerre, le conseil fédéral crut devoir rappeler son droit d’occuper militairement la Savoie du nord. Il déclarait qu’il ferait usage de ce droit, s’il le jugeait nécessaire, pour défendre la neutralité et l’intégrité du territoire helvétique. À cette notification (du 18 juillet 1870), le cabinet français fit la sourde oreille ; il répondit vaguement le 25 juillet qu’on ne s’était jamais bien accordé sur ce point, que ce n’était pas le moment d’entamer une discussion en règle, et qu’il lui suffisait de savoir qu’aucune mesure ne serait prise sans une entente préalable avec le gouvernement de l’empereur. Le conseil fédéral répliqua aussitôt par une note où il dit