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qu’il était prêt à s’entendre avec le gouvernement français sur le mode d’exécution, mais qu’il ne faisait pas dépendre de cet arrangement l’affirmation ni l’exercice de son droit. Paris, alors fort occupé, ne répondit point ; Berne put donc prendre ce silence pour un acquiescement, et regarder sa cause comme gagnée ; mais après Sedan, tout étant remis en question, l’idée de l’occupation militaire fut reprise ou du moins lancée comme ballon d’essai ; l’on croyait à la paix prochaine, et il fallait se hâter, si l’on voulait prendre date. La presse s’empara de la question, qu’elle débattit en termes très vifs, sans agiter pourtant l’opinion publique. Les Suisses étaient tous ou presque tous contre l’occupation. Tel canton s’y opposa formellement, et par l’organe de son conseil d’état supplia le conseil fédéral de ne point ordonner un acte pareil, à la fois inutile et dangereux : ce serait abuser des malheurs de la France. D’autres influences agissaient en sens contraire sur le pouvoir fédéral. L’Italie n’eût pas été fâchée de voir ses propres frontières couvertes par la Suisse. La Prusse répétait à Berne : « Occupez, occupez, nous l’approuvons ! » Cette puissance poussait même assez ouvertement à une occupation définitive. « On vous accuse, disait-on à un ministre prussien, de vouloir prendre Schaffhouse. — Prendre Schaffhouse ! répondit le ministre avec un éclat de rire. Nous songions au contraire à arrondir la Suisse avec le Chablais et le Faucigny. » Quelque temps après, dans une cour étrangère, on dit brusquement à un diplomate suisse : « Vous avez refusé la Savoie ? — Qui nous l’avait offerte ? — Faites l’ignorant ! »

Ce n’étaient donc pas les encouragemens qui manquaient au pouvoir fédéral, et nous ne parlons pas des suggestions privées qui lui venaient de partout, même de San-Francisco ; nous taisons les noms des officieux plus ou moins autorisés qui lui écrivaient : « Hâtez-vous, le temps presse, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Demandez Thonon, Annecy ! demandez Mulhouse ! » On assure que la cour de Versailles pensa un moment à la cession de la Savoie à la confédération du nord pour faire pendant à la cession de la Vénétie à la France. L’Allemagne aurait dit alors à la Suisse, comme la France à l’Italie : Prenez ! Enfin des ouvertures arrivèrent à Berne de la préfecture même de Chambéry. À la vérité, le préfet ne songeait point à offrir son département à la Suisse ; mais les Prussiens approchaient, ils étaient à Dijon, ils menaçaient Lyon et la vallée du Rhône. Dans ces circonstances, la question changeait de face ; l’intervention des troupes suisses et l’occupation du Chablais et du Faucigny auraient couvert non plus Genève, mais la Savoie. Cette riche province eût été sauvée de l’invasion. Aux yeux du préfet de Chambéry, la Suisse était chargée de faire respecter la neutralité et l’intégrité du territoire savoisien. Aussi