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d’une juste frayeur ; épris d’une admiration exclusive pour Beethoven, ils sont pleins de mépris pour nos modernes opérettes, et les banniraient volontiers de leur scène, comme Platon bannissait les fables de sa république.

Grâce à cet esprit d’économie, qui est un des traits dominans de son caractère, l’Allemand peut se laisser aller à la tendance combattue par Malthus et son école. Il se multiplie d’une façon prodigieuse. Ennemi de ce que M. Leplay appelait fort ingénieusement la stérilité systématique, une des causes de notre décadence, il n’est pas rare qu’il ait jusqu’à huit et dix enfans ; les hommes y mettent leur amour-propre et les femmes leur gloire. Il ne s’inquiète pas le moins du monde de savoir comment il dotera tout ce monde-là ; s’il faut que les aînés prennent un état, qu’importe ? Quoique bourgeois, on n’est pas déshonoré pour savoir se servir d’un outil. Chez nous, l’ambition de tout père de famille est d’établir ses enfans dans une situation à peu près analogue à celle qu’il s’est créée, souvent par vingt ou trente ans de labeurs. Quand on est sorti du peuple, on n’y veut pas laisser rentrer ses enfans. On croirait déroger. Malheur à celui dont le père s’est fait recevoir bachelier ! Il ne retournera jamais à l’atelier, ni à la charrue ; il sera bachelier comme son père ; il ira frapper comme lui pendant plusieurs années à la porte de quelque administration publique, il sera condamné pour le reste de sa vie à gratter du papier dans quelque bureau sombre : la bureaucratie, cette maladie incurable des peuples latins, y gagnera un employé de plus, l’état y perdra peut-être un bon ouvrier. En Allemagne, le bourgeois se fait peuple, aussi bien que le peuple se fait bourgeois ; il s’établit comme un roulement qui fait passer les individus d’une classe à l’autre pour le plus grand bien de la société. Le peuple surtout gagne à ce renouvellement en moralité, en vertus domestiques, en patriotisme ; il s’éclaire à ce contact, il n’a pas ces haines aveugles et ces envies furieuses qui, ailleurs, le poussent aux derniers excès, et corrompent tout ce qu’il peut avoir de nobles instincts et d’élan généreux.

Les familles nombreuses ont un autre avantage, au point de vue de la bonne police et de la tranquillité des états. Une nombreuse famille à conduire, c’est comme un bataillon à faire marcher. Plus grande est la responsabilité du chef, plus le principe d’autorité est fort. L’autorité paternelle en Allemagne, surtout dans cette classe bourgeoise que j’ai pu voir de près, est bien autrement respectée qu’en France. La loi ne donne aux pères de famille aucun droit excessif ; elle ne met pas entre leurs mains ces moyens d’action et de correction dont la loi anglaise est si prodigue. Ni le droit d’aînesse, ni la liberté de tester n’existent dans le Palatinat ; c’est la loi française, c’est le code civil qui régit toutes les pro-