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part, maîtresse de la liberté des citoyens, qu’elle pouvait violer à son gré par les mandats d’amener de ses commissaires. Chaque arrondissement possédait un comité de vigilance qui fonctionnait dans l’ombre, et devait servir avant toute chose à recevoir les délations. Les gardes nationaux estimaient que le plus beau droit du monde est celui de perquisitionner, parce que des perquisitions aux réquisitions il n’y a qu’un pas. On sait avec quelle aisance nos prétoriens des faubourgs arrêtaient ceux qui leur déplaisaient sur la voie publique.

III.

À peine installée, la commune devint une véritable machine à décrets. Elle ne cessa d’assumer le rôle d’une assemblée législative. Jamais le papier n’a supporté de telles folies. Si la commune avait exécuté tout ce qu’elle votait, la désorganisation sociale eût été sans mesure. Il faut distinguer dans ses décrets ceux qui étaient les armes de la lutte à outrance et ceux qui étaient destinés à reconstituer la société sur « sa vraie base. » Ces derniers révèlent toute l’insanité de l’entreprise, car ils ont pour la plupart une portée si vaste, qu’ils dépassent non-seulement la compétence d’un conseil municipal quelconque, mais encore celle d’une assemblée nationale ; ils ne se contentent pas en effet de régler les intérêts généraux du pays, comme s’ils avaient force de loi de la Manche aux Pyrénées : ils portent encore atteinte sans sourciller à ces droits primordiaux devant lesquels l’état doit toujours s’arrêter, parce qu’ils constituent cette liberté individuelle qu’il a pour principale mission de protéger. Aussi plus la commune croyait avoir fait merveille par la grandeur des réformes qu’elle promulguait, plus elle rendait son œuvre absurde et contradictoire, plus elle lui enlevait le caractère communal, et s’enlevait à elle-même toute raison d’être. Tous ces socialistes réunis n’ont pas révélé une seule idée nouvelle ou pratique ; ils n’avaient pas même un mauvais système. Ils ne savaient qu’unir Babeuf à Chaumette, associer le communisme à l’impiété intolérante en essayant de ressusciter le terrorisme au profit de cette glorieuse fusion. Il n’était pas possible au socialisme populaire d’échouer plus tristement, de donner une plus piteuse idée de sa science économique, qui se réduit à s’emparer du bien d’autrui.

Il est assez difficile de distinguer entre les décrets réformateurs et les décrets terroristes, car la commune faisait toujours d’une pierre deux coups ; elle frappait tout ensemble un abus, ou ce qu’elle qualifiait de ce nom, et une classe d’individus dans lesquels elle voyait ses ennemis du moment. Ainsi tous les décrets concernant la propriété tombaient sur les propriétaires, et tendaient à les