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Notre missionnaire parvient à se procurer des mouflons d’une espèce inconnue et des cerfs fauves qu’il n’avait pu encore obtenir. Ces animaux sont devenus rares par suite d’une guerre d’extermination qui leur est faite par les Thibétains, animés de l’amour du lucre : le bois d’un cerf se vend pour les pharmacies jusqu’à 30 ou 40 onces d’argent. Outre les cerfs fauves, il existerait dans les montagnes les plus inaccessibles, où les barbares ne laissent pénétrer aucun étranger, un cerf tacheté, plus grand que tous les autres, dont le bois n’a pas moins de onze branches. D’après les renseignemens fournis par les indigènes, cet animal habiterait également les montagnes neigeuses qui séparent le Kou-kou-noor du Kan-sou et du Sse-tchuen. L’abbé David compte cinq espèces de la famille des cerfs dans la principauté de Mou-pin.

Le savant lazariste, on le croira sans peine, avait beaucoup souffert du climat pendant son séjour dans le Thibet oriental ; il avait éprouvé de cruelles fatigues de ses continuelles explorations ; sa santé, gravement altérée, lui imposait la nécessité de ne pas prolonger un genre de vie dont les effets fâcheux se prononçaient chaque jour davantage. Néanmoins, comme tout homme qui a vraiment étudié, appréciant avec netteté ce qu’il a obtenu, il discerne avec sûreté ce qu’il pourrait obtenir par de nouveaux efforts. Il ne veut pas abandonner le projet de poursuivre des recherches qui lui promettent d’enrichir encore la science par de belles découvertes ; mais la difficulté de certaines entreprises est extrême. Il trouve, à la vérité, une assistance qui manquerait à la plupart des voyageurs, car de Mou-pin il peut expédier ses collections pour Tchen-tou à un missionnaire qui se charge de les faire passer à Tchong-kin ; où elles doivent être embarquées sur le Fleuve-Bleu pour Han-kéou et Chang-haï. Malgré tout, les voyages, les acquisitions d’objets indispensables à la vie, les transports, coûtent beaucoup d’argent dans les pays éloignés des fleuves et des chemins praticables, et tes ressources pécuniaires de notre explorateur sont fort limitées.

En quittant la principauté de Mou-pin, le père Armand David se promet une excursion dans le Soung-pan, pour descendre bientôt vers le sud jusqu’aux confins du Yun-nan, et visiter enfin les montagnes du Phénix au voisinage du Koueï-tcheou ; mais il ne peut se défendre du regret de renoncer à des explorations dans le Thibet. « Il faudrait, dit-il, s’avancer vers les sources du Fleuve-Bleu et du Fleuve-Jaune, à travers le plateau hérissé de montagnes inaccessibles, habité par des peuplades clair-semées, qui sont les plus barbares de l’Asie[1]. » Notre missionnaire a été informé de l’existence

  1. Lettre adressée à M. Milne Edwards.