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nir la preuve que nous sommes loin de connaître toutes les richesses de la nature. Après le Kou-kou-noor, l’abbé David voudrait revenir vers le sud explorer le Yun-nan ou le Koueï-tcheou, qui est moins ravagé par les rebelles. Comme des missionnaires tiennent résidence dans cette province, notre voyageur peut espérer, pour ses recherches, trouver des facilités qu’il n’aurait pas dans un autre pays. Plus tard, il visiterait les environs de Si-ngan-fou dans la province de Chen-si, mais il ne se décide point à quitter Mou-pin avant d’avoir parcouru certaines localités où il n’a pas encore pénétré, et surtout avant d’avoir gravi la plus haute montagne de la région.

Le courage est bien nécessaire pour s’aventurer dans ces lieux inhabitables. Les pluies sont continuelles, les chemins impraticables ; par momens, les torrens sont grossis, les sentiers disparaissent, et les misérables ponts faits d’un tronc d’arbre se trouvent emportés. Cependant notre voyageur ne se laisse rebuter par aucun obstacle : les accidens survenus dans ses collections par suite de l’humidité sont réparés par de nouvelles récoltes. Il emploie plusieurs jours à faire l’ascension de cette grande montagne de la principauté de Mou-pin, dont la hauteur dépasse celle du Mont-Blanc. La neige tombe, et l’on est au mois de juillet. Cependant il n’y a point de glacier, et rien ne dénote l’existence d’une période glaciaire. Les arêtes, très aiguës, étant formées de schistes friables, faciles à désagréger sous les influences atmosphériques, l’abbé David pense avoir dans ces faits la preuve que la formation des montagnes du Thibet oriental ne remonte pas à une époque fort reculée. Du haut de la grande montagne, le savant missionnaire a pu apercevoir quatre pics couverts de glace, l’un vers le nord, les autres à l’ouest ; il croit que les cimes sont aussi élevées que les plus hauts sommets de l’Himalaya, et il constate que ce fait géographique est resté jusqu’ici inconnu. Pendant cette pénible excursion, l’abbé David a pris le beau lophophore[1], que nous avons signalé, un autre gallinacé des plus remarquables, l’ithagine de Geoffroy[2], une perdrix qu’il voyait pour la première fois, ainsi que plusieurs petits oiseaux, une belette à ventre jaune, une véritable marmotte que les Thibétains appellent sué-djou ou le porc des neiges. Assez près du sommet de la montagne croissent de splendides rhododendrons ; l’abbé David en a recueilli de trois espèces différentes qu’il n’avait jamais observées dans les régions moins élevées. C’est en tout sept ou huit espèces du genre rencontrées dans le Thibet oriental qui paraissent distinctes de celles qui étalent leurs belles fleurs sur les pentes méridionales du Thibet et de l’Himalaya.

  1. Lophophorus Lhuysii
  2. Ithaginis Geoffroyi décrit par M. Jules Verreaux.