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dépositions allaient-elles compromettre ? Personne ne le savait, et les plus humbles comme les plus nobles se sentaient menaces.

On en était là, quand se produisit un nouveau témoin, Dioclidès. C’était sur l’événement qui tourmentait le plus les esprits, sur la violation des hennés, qu’il prétendait apporter des renseignemens. La nuit, raconta-t-il, où les statues furent brisées, il devait partir pour le Laurium, où un esclave travaillait pour son compte dans une mine. Le clair de lune était si beau, qu’il le prit pour l’aube. Il se mit donc en route. Quand il arriva auprès des propylées du théâtre de Bacchus, il aperçut un assez grand nombre d’hommes qui descendaient vers l’orchestre. Saisi de crainte, il se cacha dans l’ombre entre un piédestal et une colonne. De là, il eut tout loisir d’observer la troupe ; elle se divisa en groupes de quinze ou vingt personnes qui causèrent à voix basse, puis se dispersèrent. On y voyait presque comme en plein jour ; il put distinguer les traits de beaucoup de ces promeneurs nocturnes. Aussitôt qu’ils se furent séparés, il continua son chemin. Quand il revint le lendemain soir du Laurium, il apprit ce qui s’était passé dans la nuit, les mesures prises, les récompenses promises aux révélateurs. Pensant qu’il aurait peut-être plus d’intérêt à s’entendre avec les coupables, il s’aboucha avec Euphémos, un de ceux qu’il avait reconnus ; celui-ci, lui recommandant la plus grande discrétion, lui donna rendez-vous pour le lendemain chez Léogoras. Là Andocide et ses amis lui auraient offert, pour qu’il se tût, 12,000 drachmes, c’est-à-dire 2,000 drachmes de plus que la cité ne donnait à qui parlerait. Un nouveau rendez-vous avait été pris chez Callias, fils de Téléclès, beau-frère d’Andocide. Là le marché avait été conclu et ratifié par serment ; mais au terme convenu Andocide n’avait pas payé. En conséquence, Dioclidès, dégagé de sa parole, venait trouver le sénat. Il conclut en désignant quarante-deux personnes, les seules, dit-il, qu’il eût reconnues sur les trois cents environ qu’il avait vues passer. Les deux premiers noms qu’il prononça furent ceux de Mantithéos et d’Aphepsion, deux sénateurs qui assistaient à cette séance même ; parmi les quarante autres qu’il signala figuraient Andocide et beaucoup de ses plus proches parens, son père Léogoras, ses cousins à différens degrés et son beau-frère, Charmidès, Tauréas, Nisœos, Callias, fils d’Alcméon, Phrynichos, Eucratès, frère de Nicias, le collègue d’Alcibiade en Sicile. Pour prendre une expression toute moderne, c’était la meilleure société d’Athènes qui était atteinte par cette dénonciation.

Tout ce récit, d’après Andocide, n’était que pure invention, et il semble en effet que bientôt après Dioclidès ait été condamné et mis à mort comme faux témoin. Néanmoins au premier moment toute cette histoire dut paraître d’autant plus vraisemblable, que son au-