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l’envie et d’autres mauvaises passions de la nature humaine. Le prétexte des premières réunions avait été de se concerter pour résister aux Anglais qui ravageaient le Beauvoisis ; mais le résultat de la délibération fut de se ruer sur la noblesse prise au dépourvu, et d’en faire un massacre. Dans chaque canton, dans chaque village, s’attroupaient les paysans, tous animés du même esprit de haine et de rage contre les seigneurs ; il reste dans nos archives une multitude de lettres de rémission constatant ces méfaits, et les chroniqueurs en ont recueilli des détails qui font frémir[1].

La répression fut terrible, comme l’attentat était abominable. Les premiers nobles qu’on surprit sans défense furent massacrés. D’autres, étourdis par cette attaque imprévue, prirent la fuite ou s’enfermèrent résolument dans leurs châteaux ; mais la terreur se dissipa bientôt, et, revenus à eux-mêmes, les gentilshommes organisèrent une défense régulière. Une guerre d’extermination fut entreprise contre ces bêtes fauves déchaînées. Il ne fut pas difficile à des hommes aguerris, exercés au métier des armes, de détruire des paysans insurgés qui pour la plupart marchaient tumultueusement par bandes indisciplinées, et qui n’étaient à redouter que par leur rage furibonde. La noblesse, soit de son mouvement, soit en vertu des ordres qu’elle reçut du régent, arrêta donc bientôt ces ravages. Des secours étrangers arrivèrent même aux nobles de Beauvoisis, chacun comprenant bien que la question était plus sociale que politique. Un sentiment d’horreur se manifesta dans toute l’Europe, et ceux qui avaient excité les Jacques les abandonnèrent. On les tuait misérablement comme bêtes. Un jeune sire de Coucy se fit remarquer dans cette poursuite acharnée. En 1359, il n’en restait plus trace. L’alliance de Marcel avec ces brigands est la honte de son nom. Le fait n’est plus contestable aujourd’hui. M. Michelet l’a flétrie tout le premier. La clameur que suscitèrent ces barbares dans le monde civilisé imposa au roi de Navarre, et, à la surprise de ses contemporains, il finit, après avoir hésité, par se déclarer contre eux et leur donna le coup mortel. Le gentilhomme emporta le politique. Marcel fut aussi plus odieux et plus conséquent. Il ne coopéra point à la destruction des Jacques. Il n’est pas démontré qu’il ait donné la première impulsion à ce soulèvement. Je l’en soupçonne, mais je n’en suis pas sûr. Il a même blâmé certains excès. C’était pour lui question de mesure ; mais qu’il ait donné la main aux Jacques et qu’il les ait employés à la défense de sa cause, on n’en saurait douter. En acceptant de pareils auxiliaires, se flattait-il de

  1. Dès le mois de mars 1355, on avait vu le menu peuple de la cité d’Arras se rebeller contre les gros en très bon nombre, et demeurer les dits menus seigneurs et maistres d’icelle ville. — Grandes chroniques de Saint-Denis, VI, p. 25. — Selon Froissart, l’impôt sur le sel, la gabelle, en avait été l’occasion ; mais cet impôt était plus ancien.