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les modérer ou de les diriger ? C’est possible ; mais sa cause et son caractère personnel garderont la tache de cette alliance. Les Parisiens et les Jacques ont fraternisé au château d’Ermenonville, sinon avec grande sympathie individuelle, au moins politiquement. Lorsqu’ils furent exterminés, Marcel parut s’en consoler en réunissant de nouveau ses armes à celles du roi de Navarre[1].

Ce qui est déplorable, c’est le profit que les Anglais tirèrent de ces déchiremens de la France. La trêve expirait à peine, et déjà l’ennemi se montrait du côté de Poitiers, faisait pointe vers Tours et jusque vers Orléans. Le régent était obligé de faire face à la fois à l’Anglais vers la Loire, au Navarrais en Normandie, aux Parisiens vers l’Oise et la Marne. Le royaume touchait aux dernières limites de la détresse. Jamais la France n’avait paru plus près de sa ruine. Heureusement Marcel était lui-même à bout de forces. Trop orgueilleux pour se soumettre, ou craignant de ne pas trouver grâce auprès du régent, il franchit en désespéré le dernier pas du crime, et fut immolé par de courageux citoyens au moment où il allait livrer une porte de Paris aux Anglais[2]. Sa mort fit tomber la rébellion, et le dauphin rentra dans Paris. Que faut-il penser de l’esprit humain, lorsque, détournant les yeux du sombre tableau que nous venons de tracer, nous lisons dans un historien renommé, le plus galant homme du monde d’ailleurs, ces paroles étranges : « Ce n’étaient point des esprits inquiets, jaloux, turbulens, ce n’étaient point des traîtres que l’évêque de Laon et le prévôt des marchands, encore que tous les historiens de la monarchie se soient efforcés de les noircir comme tels ; c’étaient au contraire des hommes animés du désir du bien et de l’amour du peuple, etc. » L’amour du peuple qui débute par la guerre civile en face de la guerre étrangère, et qui aboutit à livrer une porte de Paris aux Anglais ! Et l’auteur continue : « S’ils opèrent quelquefois de violence, il faut leur pardonner l’emploi des moyens illégaux, dans un temps où les vrais amis de la France n’avaient aucun moyen légal de faire le bien. » Il n’y a pas de remède à l’esprit faux et perverti. Nous gémissons aujourd’hui sur un de ses nouveaux et plus lamentables résultats.

Le gouvernement royal étant rétabli dans sa forme régulière à Paris, le jeune régent y montra l’esprit de calme et de modération dont il avait déjà fût preuve. Au jour de son entrée dans la ville, « ainsi comme il passoit par une rue, un garnement traitre, outrecuidé par

  1. Voyez, sur la jacquerie, l’excellente Histoire qu’a publiée M. Siméon Lucé, Paris 1859, in-8o. Nous devons à M. Perrens un volume important de Recherches sur Etienne Marcel, dont une nouvelle édition est attendue. L’auteur a soumis son travail à une étude plus approfondie.
  2. Voyez, sur la mort de Marcel et ses auteurs véritables, la belle dissertation de M. Lacabaue, Biblioth. de l’École des chartes, t. Ier, première série, p. 79 et suiv.