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empêcher ce qui est inévitable ; mais efforçons-nous d’en tirer le meilleur parti possible. S’il est trop tard pour arrêter le développement des unions syndicales, il est temps de leur proposer un but utile. Au lieu de les laisser s’égarer dans les discussions vagues et oiseuses et toucher sans les résoudre à toutes les questions sociales, que les esprits sincèrement dévoués aux intérêts des ouvriers leur représentent sans cesse que le véritable objet des chambres syndicales doit être de prévenir par la conciliation et l’arbitrage les conflits industriels ; qu’ils leur mettent sous les yeux ce qui a été fait en Angleterre, qu’ils leur rappellent l’exemple récent des trades-unions aidant MM. Mundella et Rupert Kettle à fonder les conseils de Nottingham et de Wolverhampton. D’ailleurs, pour jouer ce rôle, les chambres syndicales n’ont qu’à remplir fidèlement le programme de leurs fondateurs. Tous, dans leurs réclamations en faveur de la liberté des syndicats, ont à l’unanimité fait ressortir ce côté de la question. Tous ont essayé de prouver que, lorsqu’un désaccord sérieux menacerait d’éclater entre les patrons et les ouvriers, la mission des syndicats serait de concilier les deux parties pour les empêcher d’en venir à une lutte ouverte. Nous ne faisons ici que résumer leurs argumens. Une fois les chambres syndicales constituées, disent les délégués ouvriers[1], les plaignans viendraient tout naturellement porter devant elles leurs débats. Les deux chambres saisies de la question se mettraient en communication. L’habitude des discussions calmes accoutumerait ouvriers et patrons à débattre leurs intérêts réciproques sans aigreur et sans violence le jour où l’harmonie serait troublée. Ces syndicats auraient la conscience qu’ils représentent des intérêts considérables, qu’ils sont chargés d’une lourde responsabilité ; ils sauraient que leurs déterminations et leurs actes doivent entraîner des conséquences sérieuses, et ils seraient par suite portés à conseiller la modération, à faire prévaloir les transactions. Grâce au concours des hommes notables de la profession réunis dans les mêmes conseils, grâce aux nombreuses sources d’information qu’elles posséderaient, les chambres seraient en outre parfaitement au courant des intérêts généraux soit du capital, soit du travail, et n’auraient pas la tentation de les laisser sacrifier à telle ou telle influence particulière. Une grève n’éclaterait que lorsque toutes les tentatives de rapprochement auraient été épuisées, lorsque chacune des deux chambres aurait déclaré qu’elle n’a plus de concession à conseiller, ou lorsque les parties intéressées n’accepteraient pas les concessions proposées par les chambres : c’est dire que les grèves seraient infiniment plus rares.

  1. Rapports des délégués aux expositions de Paris et de Londres.