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nous, non-seulement distinct de la réalité, mais, jusqu’à un certain point, purement, imaginaire, création de notre système nerveux. Un exemple fera comprendre la différence. Une corde tendue vibre ; que les vibrations soient ou non rapides, la main approchée de la corde la sent très bien osciller. Si le nombre des vibrations dans une seconde est peu élevé, soit de quinze environ, le toucher seul est affecté, et donne la sensation des mouvemens de la corde. On peut admettre que notre sens intime a dans ce cas la traduction fidèle du fait matériel dont la corde est le siège ; mais que le chiffre des vibrations augmente, nous éprouvons tout à coup une sensation nouvelle, toute différente, et qui s’ajoute à la première, la contrôle en quelque sorte. Le doigt, sur la corde continue de sentir les vibrations ; mais celles-ci, communiquées à l’oreille, y produisent un effet tout autre : un son. Et cependant l’oreille a été physiquement ébranlée par les mouvemens de l’air, comme les doigts le sont par ceux de la corde ; l’impression sur les organes est de même ordre, la sensation diffère. Si la première est la traduction exacte de ce qui se passe en dehors de nous, la seconde existe toute en nous, et n’a rien de réel : un mouvement mécanique recueilli par l’oreille devient une perception sonore. C’est là une de ces transformations du mouvement qu’il faut ajouter à celles qu’étudie avec tant d’ardeur la physique. Il y a un équivalent nerveux du mouvement, comme il y a un équivalent mécanique de la chaleur. On voit toute l’importance de ce grand fait physiologique, qui relie ainsi les perceptions intimes du moi aux grandes lois du monde physique. Cette transformation, méconnue de tous ceux qui ont étudié jusqu’en ces derniers temps la théorie de la musique, avait jeté dans leurs œuvres une confusion dont la science n’est sortie que depuis qu’elle a su faire de l’ancienne acoustique deux parts : l’une, qui étudie les mouvemens vibratoires des corps, la théorie des instrumens, et qui n’est en réalité qu’une partie de la mécanique, — — l’autre, qui s’applique aux perceptions musicales elles-mêmes, la théorie de l’harmonie de la voix. Cette science a reçu un nom, c’est l’acoustique physiologique. L’autre peut être étudiée par un sourd-muet ; celle-ci exige une oreille sensible comme celle d’un Rameau ou d’un Helmholtz.

On voit où nous conduit tout cela. Ce monde, qui nous paraît plein de bruit et de clameurs, est silencieux, muet comme la mort. Tout s’agite, tout vibre autour de nous, mais dans un absolu silence. Pour devenir des sons, il faut que ces mouvemens trouvent une oreille où frapper, un système nerveux qui les transforme. Des paléontologistes, plus poètes que versés dans la connaissance de la vie, ont essayé de peindre les continens aux premiers âges du monde, avant l’apparition de toute vie, pleins des éclats du ton-