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nerre, du mugissement des vagues » de la voix des volcans. Hélas ! tout cela est fort beau, mais fort peu physiologique. La foudre elle-même est muette tant qu’il n’y a pas une oreille que les vibrations de l’air impressionnent. Le monde a été silencieux tant qu’un système nerveux comme le nôtre n’a point existé.

L’exemple offert par l’oreille est certainement le meilleur qu’on puisse donner, parce qu’un autre sens, le toucher, vient en quelque sorte nous éclairer sur l’illusion acoustique ; mais il est probable que la vue, comme l’oreille, ne nous donne aussi qu’une traduction plus ou moins exacte du monde lumineux, et que les couleurs spécialement n’existent pas plus en dehors de nos sens que les sons musicaux. Par malheur, nous n’avons plus ici, comme pour l’oreille, un moyen de contrôle dans le toucher. Tout ce que l’on peut supposer avec quelque vraisemblance, c’est que le fait matériel extérieur que l’œil transforme en sensations lumineuses doit être à peu près de même nature que celui qui produit sur la peau ces autres sensations connues comme étant celles du froid et du chaud.

Il n’y a rien d’extravagant à supposer que d’autres planètes sont habitées par des êtres raisonnables comme l’homme ; mais, si leurs organes sont différens, — et il y aurait beaucoup de chances pour qu’il en fût ainsi, — ils voient et conçoivent certainement le monde tout différemment que nous. La vie peut être chez eux régie par les mêmes lois. Ils peuvent même avoir un cerveau tout pareil au nôtre, et cependant avoir du même monde extérieur une conception tout autre, dépendant des organes qu’ils ont pour recueillir et transformer les impressions du dehors. Même autour de nous, quand nous voyons chez les animaux des organes semblables aux nôtres, nous pouvons avec quelque vraisemblance en induire qu’ils voient, entendent, odorent, ressentent le chaud et le froid comme nous-mêmes ; mais aussitôt que les organes destinés à nous donner ces sensations disparaissent ou deviennent méconnaissables, nous n’avons plus aucune idée de l’étendue, ni de la nature des impressions qui frappent leur système nerveux. Il n’est nullement certain que les insectes chez lesquels on n’a point sûrement découvert d’oreille entendent. À la vérité, plusieurs, comme le grillon, semblent s’appeler par une musique rhythmée, un son aigu les fait envoler ; mais nous ignorons s’ils perçoivent ces ébranlemens de l’air comme sensations acoustiques, à la manière, de notre oreille, ou simplement comme sensation tactile par des organes d’une délicatesse spéciale, à la manière d’une feuille légère ébranlée au loin par le bruit d’un pistolet, Nous savons que les insectes sont sensibles à la lumière ; mais la nature de cette sensibilité est pour nous un problème. Il est fort peu probable en tout cas qu’ils perçoivent avec leurs yeux à facettes