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de sa gloire, avant qu’il se fût usé dans les embarras inévitables des choses humaines, il disparaissait tout d’un coup dans un orage, comme Romulus, et le lendemain de sa mort, sa vie, pleine d’événemens extraordinaires, pouvait passer pour une légende. Que de raisons de le regarder comme un dieu ! Le sénat, pendant qu’il vivait, lui avait accordé les honneurs divins, mais de bouche seulement et sans y croire. Le peuple au contraire, dit Suétone, était convaincu de sa divinité. In deorum manerum relatus est, non ore modo decerenientium, sed et persuasione volgi. Non-seulement ce fut tout à fait une consécration populaire ; mais il importe de remarquer que le peuple seul témoigna quelque zèle pour l’apothéose de César : ses amis, ses créatures, ceux qu’il avait comblés de dignités et de trésors, se montrèrent beaucoup plus tièdes. Antoine scandalisa le peuple par son peu d’empressement à faire exécuter les décrets du sénat en l’honneur de César. Nommé prêtre de Jupiter Julius pendant que le dictateur vivait encore, il n’avait jamais songé à remplir ses fonctions. Cicéron, dans ses Philippiques, lui adresse des reproches ironiques sur sa négligence. « le plus ingrat des hommes, lui dit-il, pourquoi donc as-tu abandonné le sacerdoce de ton nouveau dieu ? » La conduite de Dolabella fut plus étrange encore. Sur l’endroit même du Forum où le corps de César avait été brûlé, on avait élevé un autel surmonté d’une colonne de 20 pieds en marbre d’Afrique avec cette inscription : Au père de la patrie. Une sorte de culte s’organisa spontanément sur cet autel : on y venait tous les jours faire des sacrifices, prononcer des vœux, terminer des différends en attestant le nom de César. Un intrigant, qui se disait petit-fils de Marius, et qui n’était qu’un ancien esclave, dans l’espoir que le désordre pourrait lui être utile, excitait la foule à renouveler sans cesse ces démonstrations. Le consul Dolabella, voyant qu’elles effrayaient les gens sages et troublaient la paix publique, résolut d’y mettre un terme. Il n’hésita pas à détruire la colonne, à renverser l’autel, à disperser par la force les adorateurs de son ancien ami ; comme ceux-ci faisaient mine de résister, Antoine envoya contre eux des soldats qui s’emparèrent du petit-fils de Marins et de ses partisans, et, sans prendre la peine de les faire juger, il les précipita du haut de la roche Tarpéienne.

Cet acte de vigueur, dont Cicéron et le sénat furent très heureux, causa un vif mécontentement au peuple. Les ouvriers, les soldats, les esclaves, qui avaient pris l’habitude de venir prier autour de la colonne du Forum, se montrèrent fort irrités contre ces ingrats qui punissaient des amis plus fidèles qu’eux, et ils ne se lassaient pas de demander qu’on leur laissât relever l’autel de César. L’habile Octave comprit ces dispositions de la foule, et il sut en profiter. Il