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jour mieux affermi : cet homme, c’est M. Thiers, et ce qui fait la force de M. Thiers indépendamment de sa profonde expérience des affaires publiques, c’est sa sincérité complète, avec tous les partis, avec toutes les opinions.

Rien assurément ne peint mieux le singulier état politique de la France actuelle que ce dernier discours où l’illustre chef du pouvoir exécutif est venu à son tour fixer le vrai sens de l’admission des princes. Ce discours même, en se déroulant dans son ampleur familière, est comme une image de toutes les contradictions, de toutes les incertitudes qui envahissent tant d’esprits, et qui cette fois avaient pénétré jusque dans cette claire et lumineuse intelligence. Certes dans sa vie d’orateur M. Thiers a été bien souvent habile, il ne l’a jamais été plus que l’autre jour ; dans sa longue carrière, il a rencontré sur son chemin bien des questions « difficiles, laborieuses et périlleuses, » jamais, comme il l’a dit, il n’avait été en face d’une question faite pour « le plonger dans de plus grandes perplexités. » Et c’était tout simple, puisqu’il se trouvait partagé entre des souvenirs qui le rattachent à cette monarchie constitutionnelle représentée par les princes d’Orléans et sa clairvoyance d’homme d’état personnifiant une situation nouvelle qui a ses exigences et ses nécessités. Comment M. Thiers s’est-il tiré d’embarras ? Justement en restant sincère, sincère avec les autres comme avec lui-même, en portant à la tribune avec une audacieuse ingénuité la confession de ses propres pensées et même un peu la confession de ceux qui ne savent pas toujours ce qu’ils pensent. Il n’a rien déguisé, il n’a point caché qu’il avait commencé par être opposé à la rentrée des princes, qu’il avait eu à se laisser faire quelque violence, — fût-ce une douce violence, — qu’il n’avait cédé que devant l’intérêt supérieur de l’union de l’assemblée et du gouvernement, et aussi parce que les princes eux-mêmes s’étaient engagés à une grande réserve, parce que enfin au bout de tout il s’est ménagé le droit d’user de son initiative pour sauvegarder la sécurité publique, s’il croyait la France menacée dans son présent, dans son avenir, dans ses institutions. » Dire que M. Thiers n’eût point préféré qu’on lui épargnât cette épreuve, ce serait de la naïveté. Ce qui est certain, c’est que, l’affaire une fois engagée, il pouvait seul peut-être remuer tant de questions brûlantes avec assez de dextérité pour éteindre tous ces commencemens d’incendie ; seul, il pouvait aller ainsi au fond des choses sans rien compromettre, dire la vérité à tout le monde sans blesser personne. Aux monarchistes, il a dit : Prenez garde, vous êtes des imprudens, vous sortez à peine de la plus horrible conflagration, voulez-vous par des témérités provoquer la guerre civile un peu partout dans les plus grandes villes de France ? Voulez-vous donner raison à ceux qui vous ont combattus, et qui vous calomniaient en prétendant que vous vouliez supprimer par surprise la