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tien ou pour le rétablissement de l’ordre. Les chefs ne faisaient rien pour donner un intérêt intelligible ou une sanction efficace à ces appels, dont ils étaient les premiers à se plaindre. Le nombre des réfractaires croissait tous les jours. La désorganisation était d’ailleurs à son comble dans la meilleure partie de la garde nationale, et l’autorité ne paraissait pas sentir le besoin d’y remédier. Les démissions d’officiers avaient été nombreuses après l’armistice. Beaucoup n’avaient sollicité ou accepté les grades que pour être les premiers au danger ou à l’honneur dans la lutte contre l’ennemi ; le ressentiment de la défaite et le besoin de repos les poussèrent également à s’en décharger quand ils n’y trouvèrent plus qu’un fardeau.

Et cependant, le 18 mars, beaucoup se réunirent soit le matin, soit dans la journée, lorsque des bruits sinistres commencèrent à circuler. Retenus par ordre dans leurs quartiers respectifs, inutiles dans ceux où l’émeute n’était pas à craindre, trop faibles pour lui résister dans les autres, ils ne formèrent qu’une force éparse qui ne pouvait rendre aucun service. Rassemblés avec un signe de ralliement et des instructions précises sur les points les plus menacés, réunis à l’armée régulière, dont ils auraient soutenu le moral, en même temps que son concours leur eût donné à eux-mêmes plus de confiance, ils pouvaient tout sauver sans effusion de sang peut-être, par le respect seul que leur nombre et leur fermeté eussent imposé à une insurrection où les hommes décidés à tout étaient encore en minorité. L’avant-veille, pendant la nuit, devant un des bastions les plus isolés des remparts, j’avais vu une poignée de gardes nationaux, qui étaient loin d’être des héros, faire reculer par leur ferme attitude une masse armée beaucoup plus nombreuse qui venait pour s’emparer d’un dépôt de cartouches.

Par malheur, l’armée est chargée seule de l’enlèvement des canons usurpés, et, en cas de résistance, des premiers efforts contre l’émeute. Réduite à 10,000 hommes après l’armistice, elle avait reçu peu à peu d’importans renforts, dont la plus grande partie avait été appelée de province. Les factieux n’avaient pas manqué de la circonvenir, de se faire l’écho de ses plaintes sur les imperfections inévitables d’une installation hâtive, à l’intéresser à leurs propres griefs contre le gouvernement et la société. C’est leur tactique habituelle, et il faut beaucoup de précautions pour en conjurer l’effet. Cette tactique devait réussir auprès de soldats mal disciplinés, sans confiance dans leurs chefs, et dont l’ardeur s’était éteinte dans les dernières péripéties de la guerre étrangère. Il était difficile de leur faire voir des ennemis dans ces gardes nationaux de Paris, dont le prestige était encore si grand dans toute la France, et de qui ils ne recevaient que des démonstrations ami-