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leur rôle était d’autant plus délicat qu’ils étaient seuls juges de la mesure qu’ils devaient y apporter. Ils se sont généralement acquittés de leurs difficiles devoirs avec autant de prudence que de fermeté. Ils ont veillé jusqu’à la fin sur le matériel des établissemens publics et sur le mobilier personnel des fonctionnaires en fuite. S’ils n’ont pu partout empêcher les incendies, ils les ont circonscrits. Leur vigilance s’est multipliée pour détourner des dépôts de poudre la fureur des incendiaires, pour couper les mèches et les fils de communication, et, quand ils n’avaient pu prévenir les désastres les plus terribles, pour essayer d’éteindre le feu ou du moins de lui arracher, avant de se mettre eux-mêmes en sûreté, quelques-uns des objets confiés à leur garde. Je cède à un sentiment de reconnaissance personnelle en donnant une mention spéciale, parmi ces modestes et courageux employés, à ceux des prisons. Ils étaient pleins d’égards pour les détenus honnêtes (il n’y en avait guère d’autres). Par une attention délicate, ils réunissaient de préférence, pour la promenade, ceux entre qui ils devinaient une certaine affinité d’éducation et de goûts. « Nous étions ici avant la commune, » disaient-ils à demi-voix, non sans une certaine fierté. Les marques d’humanité qu’ils se plaisaient à donner n’étaient pas sans péril. Le greffier du dépôt de la préfecture de police passait de son bureau dans une cellule, où il restait quarante jours, pour avoir témoigné quelque compassion aux premiers et aux plus éminens otages de la commune : l’archevêque de Paris, le curé de la Madeleine, le président Bonjean. Quand le moment suprême fut venu pour les prisonniers, menacés par l’incendie à défaut du massacre, beaucoup furent sauvés par leurs gardiens, qui leur ouvrirent les portes, leur procurèrent des déguisemens, ou bien, après les avoir fait sortir de leurs cellules, se joignirent à eux pour éteindre le feu en attendant les troupes libératrices.

Les fonctionnaires d’un ordre supérieur n’avaient pas tous quitté Paris. Beaucoup, bien qu’empêchés de remplir leurs fonctions, n’avaient pas cru devoir en déserter le siège, tant qu’ils n’étaient pas appelés ailleurs par des obligations plus impérieuses. Quelle plus belle fin que celle de M. Bonjean ! Après avoir partagé depuis le mois de septembre toutes les épreuves de la population parisienne, il s’était donné à peine quelques jours de congé, vers le milieu de mars, pour embrasser sa famille, dont il était resté séparé pendant six mois. Il se hâte de revenir à Paris en apprenant le triomphe de l’insurrection. Premier dignitaire par intérim de la magistrature française, il estime que sa place ne peut être que là où le droit est en souffrance. Arrêté presque aussitôt après son retour, il est retenu comme otage. Malade, on demande qu’il soit transféré à la maison municipale de santé. L’ordre de transfert est signé par le « délégué