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Tel autre n’était-il pas simple capitaine au début de la guerre, ou, mieux encore, la veille et dans les rangs mêmes de l’armée où nous l’avions connu ? Que ces généraux improvisés fussent dignes de leur position nouvelle par leur bravoure et leur patriotisme, là n’était pas la question. Étaient-ils par leur science militaire à la hauteur du commandement qui leur était confié ? Bien des faits avaient répondu, et, comme nous cherchons avant toutes choses la vérité, qu’il nous soit permis d’en citer un, bien propre d’ailleurs à justifier les réflexions précédentes. Nous le choisissons à dessein parmi tant d’autres, parce qu’il s’agit d’un de nos compagnons les plus chers, mort héroïquement en rachetant par la bravoure du soldat les fautes du général.

Parmi ces esprits d’élite et ces cœurs généreux qui, sous le nom des quarante, avaient tenté de faire sauter le pont de Saverne et n’avaient échoué que par la trahison d’un maître d’école des Vosges, qui de nous n’avait remarqué le lieutenant Girard et n’était fier de son amitié ? Le ministre de la guerre avait lui-même désigné ce vaillant soldat de nos guerres d’Afrique, de Crimée et d’Italie comme le plus capable d’organiser militairement cette troupe de volontaires appartenant aux classes élevées de la société, et que rien n’avait préparés aux rudes exigences de la vie guerrière. En tout, Girard s’était montré digne de ce choix. Seul, la nuit, son revolver à la main, il avait pénétré dans le camp prussien, et s’était emparé du traître dont les ignobles révélations avaient fait échouer la tentative de Saverne. En toute circonstance, il avait réclamé sa place au premier rang du danger. C’était donc un admirable soldat, un officier hors ligne. Le lendemain du premier engagement de Maizières, le commandant en chef le nomma général de brigade dans une de nos divisions. Vingt-quatre heures après la prise de possession de son commandement, sans ordres, sans reconnaissance préalable, sur la foi de je ne sais quels renseignemens inexacts qu’il n’avait pu contrôler, il se lançait dans la plus folle des entreprises et y trouvait la mort, heureusement pour lui, car il se fût demandé lui-même et aurait eu à rendre un compte terrible des 300 hommes qu’il avait fait écharper par son inexplicable conduite.

Si cet exemple, où, comme nous l’avons dit, une mort héroïque atténue du moins bien des fautes, peut faire comprendre l’opinion des soldats envers leurs chefs improvisés, il met aussi en lumière une des causes les plus actives de notre infériorité vis-à-vis des bandes prussiennes, où le courage des soldats était si rigoureusement réglé par la discipline, et le commandement par la science la plus méthodique de la guerre. Ajoutons que ces généraux de fraîche date n’avaient pas tous la mâle simplicité de Girard, et que trop