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tard, aux combats de Nuits et de Beaune, se montra digne de son vaillant colonel, de ses braves officiers. Il est évident néanmoins que, lorsque l’armée de l’est partit de Besançon pour aller former le 20e corps de l’armée de la Loire, le général Crouzat, qui la commandait, devait d’autant plus tenir compte de pareils faits, que, malgré tous ses efforts, malgré ceux de tous les généraux placés sous ses ordres, rien n’était changé dans les conditions matérielles de l’armée.

Le temps écoulé pendant les marches qui nous conduisirent successivement à Gien et enfin à Bellegarde, en avant de la forêt d’Orléans, ne permit aucun changement favorable dans ces mêmes conditions ; — on peut dire cependant qu’à cette époque les rapports incessans des chefs et des soldats avaient relevé l’esprit général de nos troupes, — l’impatience de l’action, qui animait les plus ardens, s’était répandue de proche en proche ; tous nous demandions d’en finir par une action décisive avec ces marches et ces contre-marches dont nous ne comprenions guère l’utilité, et qui avaient l’air, du moins à nos yeux, non de mouvemens stratégiques, mais d’une longue retraite devant un ennemi qu’on disait partout et que nous ne voyions nulle part.

Il convient d’insister sur cette disposition nouvelle des esprits, car elle a eu une suprême importance, même au point de vue des résultats généraux de la campagne que nous entreprenions. Le 20e corps était en grande partie composé de bataillons de mobiles ; la 1re brigade de la 2e division par exemple, après avoir compté le 32e régiment de marche, le régiment des Deux-Sèvres et deux bataillons du Haut-Rhin, était réduite en arrivant sur les bords de la Loire au régiment des Deux-Sèvres et à un bataillon de 1,500 hommes de mobiles de la Savoie. Une telle armée avait toutes les qualités et aussi tous les défauts des troupes jeunes, intelligentes, souvent pleines d’ardeur, mais inexpérimentées, qui en formaient le fonds essentiel. Nos mobiles obéissaient avec une régularité qui ne s’est jamais démentie à tous les ordres donnés, ils supportaient sans plainte les fatigues de nos marches incessantes, leur patiente abnégation, leur dévoûment, furent toujours à la hauteur des privations sans nombre qui leur furent imposées ; mais, tout en obéissant, on raisonnait, on demandait le pourquoi des choses, et on discutait d’autant plus au bivouac les ordres reçus, que l’autorité n’apparaissait ni aux soldats, ni aux officiers, avec la sanction de l’expérience, avec le prestige des grades dès longtemps acquis. Tel général commandant une division n’était-il pas un ancien sous-officier, devenu général en faisant son apprentissage du commandement en Amérique, dans les rangs des sécessionistes ?