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et là de la mer des Antilles à l’Océan-Pacifique et jusque le long des côtes de Norvège, les draguages du Porcupine ont ajouté une nouvelle espèce qui se rattache à la tribu jurassique des apiocriniens, et séjourne au-dessous de 2,400 brasses (4,320 mètres). Les fonds bas et froids se sont encore trouvés habités par un spongiaire dont l’axe, ferme à l’intérieur, mou et coloré en vert pâle à l’extérieur, se divise dans le haut en plusieurs branches comme un arbuste. Il est singulier qu’une espèce à peu près semblable ait été découverte par M. le comte Pourtalès dans le golfe du Mexique, et fournisse une nouvelle preuve de la diffusion des êtres au fond de l’océan, où les conditions tendent partout à s’égaliser.

Mais comment s’arrêter à considérer un à un les habitans, si divers, si mêlés, si singulièrement associés, qui couvrent les régions sous-marines ? Les pages succéderaient aux pages, les questions surgiraient à l’envi, tant le passé et le présent se coudoient au sein de ces populations, que tantôt des courans, tantôt des conditions de milieu, ou des natures de fonds variées comme leurs aptitudes, ou bien encore des révolutions dont le secret est à jamais perdu, ont entraînées sur les points où on les observe. Plus tard, l’homme, avec son ardente curiosité, qui sait à l’aiguillon qui la presse ajouter encore la patience des générations et l’emploi d’une méthode sûre, débrouillera ces populations confuses, saisira leur caractère, et, déchiffrant leur histoire, remontera par elle à des événemens dont l’antiquité est incalculable. La liaison intime des phénomènes actuels et des phénomènes anciens éclate à chaque exploration nouvelle. C’est l’espoir de percer les voiles du temps passé qui a constamment soutenu les efforts des Agassiz, des Pourtalès, des Carpenter, dirigé leurs sondages à travers le gulf-stream et l’Atlantique, et ce qu’on n’avait fait qu’entrevoir jusqu’ici s’est trouvé subitement éclairé.

L’océan par le fait est un livre au moyen duquel la plupart des questions géologiques peuvent être commentées avec fruit. Les terrains et les couches que nous étudions avec tant de labeur se sont formés au fond des mers d’autrefois, souvent sous de hauts niveaux, et par conséquent ce n’est pas uniquement par l’observation des zones côtières, ni même des petits bassins, que l’on apprendra comment ont vécu les êtres dont les dépouilles nous ont été transmises. C’est à ce point de vue surtout que doit être appréciée l’importance des foraminifères ou rhizopodes, qui sont les êtres les plus nombreux des régions inférieures, sauf sur les points où la température s’abaisse jusqu’à se rapprocher du point de congélation, et qui y foisonnent de manière à composer à eux seuls une sorte de boue vivante. On a souvent décrit ces petits êtres.