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périence. Est-ce assez de malheurs ? Et pourtant, qu’on regarde de près, cette France qui vient de passer par de telles épreuves semble depuis trois mois n’attendre qu’un rayon favorable, un signal pour se relever et se reprendre à la vie. Non, ce pays broyé, victime par les factions aussi bien que par l’étranger, ce pays n’est ni aussi abattu, ni aussi épuisé, ni même aussi décomposé qu’on le dirait.

Ce qu’il y a au contraire de curieux et de rassurant, c’est que, dans cette confusion provoquée par une guerre terrible et une insurrection sans exemple, on distingue tous les élémens d’une société vivace. Les défaillances, les corruptions, les révoltes, sont à la surface ; au fond, il y a la sève d’une nation et toutes les ressources éparses d’une régénération possible. À coup sûr, dans cette série de lamentables événemens, l’armée a été particulièrement éprouvée et même, si l’on veut, démoralisée. C’est à ce point qu’on a pu se demander en certaines heures si le nerf de notre puissance militaire n’était pas irrémédiablement atteint, et cependant voyez avec quelle rapidité s’est refaite cette armée qui a été chargée de reconquérir Paris, comme elle a vite retrouvé son esprit militaire, ses habitudes de fidélité et d’obéissance, sa discipline ! Il a suffi de lui montrer le drapeau, de lui donner un but et de lui rendre des chefs qui ont regagné sa confiance par leur habileté comme par leur attentive sollicitude. À ne juger que sur l’apparence et d’après les agitations de certaines villes, la France d’aujourd’hui serait la nation la plus ingouvernable, la plus prompte à glisser dans l’anarchie. Allez un peu plus au fond des choses, vous trouverez un pays susceptible et mobile sans doute, mais aussi le plus maniable, pour peu qu’un veuille ou qu’on sache le diriger et le gouverner. Les instincts d’ordre survivent à travers tout, et en définitive, dans cette masse nationale que ne représentent ni les journaux agitateurs, ni les clubs incendiaires, qui n’aspire qu’à vivre d’une vie laborieuse et tranquille sous la république comme sous la monarchie, dans cette masse il y a certainement assez d’intelligence et de raison pour qu’une société qui porte en elle-même cette force intime ne soit point perdue. Politiquement donc, en dépit de tristes et dangereux symptômes, la France n’est point aussi malade que le disent ses détracteurs, et la meilleure preuve, c’est qu’elle a échappé à une crise que bien peu de nations aujourd’hui traverseraient sans y périr. À un autre point de vue, dans l’ordre matériel, la France a souffert sans contredit, l’industrie et le commerce ont éîé paralysés, le travail a été interrompu, l’agriculture a été cruellement éprouvée. On n’a qu’à lire un rapport récemment soumis à l’assemblée par un représentant, M. de Montlaur, sur les ruines que l’invasion et la guerre ont laissées dans certaines contrées. C’est un bullelin navrant ; il y a des zones qui comptent parmi les plus riches et qui offrent à peine aujourd’hui quelques traces de culture, où il n’y a plus de grains, ni pour la nourriture des habitans,