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plomatie, la guerre, les finances, et, soyons de bon compte, il y réussit assez bien pour qu’on ne lui en demande pas davantage, pour qu’on le dispense même au besoin de remplacer M. Jules Simon, ou de songer à écrire de petites lettres à ceux qui le flattent sans le servir. Quand nous parlons des batailles gagnées par M. Thiers, il n’y en a point en vérité d’égale à celle qu’il vient de remporter, ayant M. Pouyer-Quertier pour lieutenant, dans l’affaire du dernier emprunt. Voilà un succès qui n’est pas seulement financier, qui a aussi un caractère très politique et qui est de nature peut-être à faire réfléchir M. de Bismarck, La souscription était à peine ouverte, qu’elle a pu être close ; un jour a suffi. Paris seul a donné 500 millions de plus qu’on ne demandait ; avec la province, la France a dépassé de 1 milliard ½ le chiffre de la souscription ; avec l’étranger, on atteint et on dépasse les 5 milliards de l’indemnité due à la Prusse. Le crédit français est donc encore une puissance qui défie les extorsions et les violences, et M. Pouyer-Quertier a pu porter avec un modeste orgueil ce bulletin victorieux à l’assemblée. Que l’intérêt nécessairement un peu élevé qui a été attaché à l’emprunt ait dû attirer les capitaux, cela ne peut être douteux ; mais ce succès presque prodigieux dans les circonstances actuelles, ce succès a évidemment une autre signification. Ce n’est pas seulement l’éclatante confirmation de ce mot dit récemment en Angleterre, que « les Français croient à la France ; » c’est le prix de cette sagesse dont M. Thiers parlait l’autre jour en la pratiquant lui-même, et aussi de cette habile sincérité avec laquelle le chef du pouvoir exécutif a fait l’histoire de nos finances. M. Thiers, avec ce bon sens et cette clarté qui donnent du charme même aux chiffres, M. Thiers a eu le mérite de porter la lumière dans cette chose mystérieuse qui s’appelait depuis quelques mois la situation financière de la France. Où en étions-nous après cette guerre qui a tout à la fois diminué nos ressources et si étrangement grossi nos dépenses ? Quelle était la mesure de nos déficits et de nos charges ? Comment pouvions-nous résoudre ce double problème de nous libérer d’une colossale indemnité et de rétablir un certain équilibre dans nos budgets bouleversés ? M. Thiers a fait de la politique et des finances dans son discours, il a mis les résultats à côté des causes ; il n’a rien dissimulé de nos pertes, de nos embarras pas plus que des ressources qui nous restent. Bref, c’est le bilan complet d’une situation exposé par un homme qui sent qu’il ne parle pas seulement pour la France, qu’il parle en même temps pour l’Europe, — qu’il ne s’adresse pas seulement au monde financier, qu’il s’adresse aussi au monde politique, inquiet de ce qu’on peut encore attendre d’un pays soumis à de telles épreuves. Le succès a répondu à sa courageuse franchise ; la France, cette France exténuée, épuisée par les réquisitions et par tous les excès de la guerre, lui a donné