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assez de milliards pour inspirer à M. de Bismarck la crainte de n’avoir pas assez fait pour réduire sa victime à l’impuissance.

Fort bien, nous sommes maintenant en mesure d’acquitter nos premières dettes entre les mains de notre terrible créancier, et de laissera la France le temps de respirer avant de faire au crédit un appel nouveau ou de chercher tout autre moyen de libération. Le premier pas est donc franchi heureusement. Il ne faudrait pas cependant s’aveugler. Quel que soit le succès de l’emprunt qui vient d’être réalisé, il n’est pas moins vrai que notre situation reste, selon le mot si juste de M. Thiers, non pas désastreuse, mais laborieuse, difficile, et c’est là justement qu’une vraie politique financière devient une des nécessités, un des élémens de la réorganisation nationale qu’on veut poursuivre. Au fond, en quoi consiste ce bilan si parfaitement exposé par M. Thiers ? Il comprend d’un côté les déficits de 1870 et 1871 résultant soit de la diminution inévitable des recettes, soit de l’aggravation des dépenses, et d’un autre côté les moyens de toute sorte à l’aide desquels on a fait face aux difficultés. 1870 a laissé un déficit de 645 millions, 1871 a un déficit de 986 millions. On a paré à ces découverts avec des avances de la Banque qui se sont élevées au chiffre considérable de 1,300 millions, avec un emprunt contracté à Londres par la délégation de Tours et dont le capital est de 250 millions, quoique l’état n’ait touché que 200 millions. À cela il faut joindre l’emprunt qui vient d’être fait et ceux qu’il faudra nécessairement faire encore pour acquitter l’indemnité prussienne. Au total, quand on arrive au bout de ce défilé, quand on sort de cet épais fourré de chiffres, on se trouve pour 1872 en présence d’un budget sur lequel s’accumulent fatalement toutes les charges de cette malheureuse année, et qui peut d’autant moins y suffire avec ses ressources normales qu’il se trouve diminué du revenu des provinces cédées à l’Allemagne.

Le déficit qui résulte de tout cela, il se résume dans un chiffre : c’est une somme de 556 millions à trouver, voilà le dernier mot. Il est vrai que dans ce chiffre tout est compris, même l’intérêt des trois derniers milliards de l’indemnité, et qu’il y a aussi 200 millions d’amortissement. Il est vrai encore que cette somme peut être atténuée par les économies qu’on pourra faire dans le budget ; mais M. Thiers n’évalue pas les économies possibles au-delà de 120 millions, et cela se comprend bien dès que le budget de la guerre, au lieu d’être diminué, devrait être plutôt augmenté. Même après les économies prévues par M. Thiers, il resterait toujours 436 millions à trouver. — 436 millions, ce n’est point évidemment au-dessus des forces d’un pays tel que la France ; le problème est de savoir comment on prélèvera cette somme sur la fortune publique. M. Pouyer-Quertier répond à la question par un système de