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missions permanentes auprès des préfets. À quoi tiennent les scrupules de bien des esprits politiques qui désirent autant que d’autres l’extension des libertés locales ? Ces scrupules tiennent simplement à une chose qui s’est vue plus d’une fois, c’est que beaucoup de ces commissions, à l’exemple de bon nombre de conseils municipaux, seraient peut-être bientôt tentées de sortir de leurs attributions légales et de se transformer à la première occasion en pouvoirs politiques. Certes on a aujourd’hui à Lyon un saisissant exemple de ce dangereux esprit. Voilà une des premières villes de France, une ville opulente, industrieuse, et qui se trouve tout à coup au seuil de la banqueroute, si bien qu’un des députés du Rhône, qui est lui-même membre du conseil municipal de Lyon, M. Ducarre, vient de pousser le cri d’alarme en déclinant avec indignation la responsabilité d’une telle mésaventure. À quoi cela tient-il ? C’est que depuis un an il se trouve à Lyon un conseil municipal supprimant des contributions sans en avoir le droit, établissant de nouveaux impôts que personne ne veut payer, désorganisant tout de sa propre autorité. Et le résultat, le voici : pendant que les municipaux de Lyon venaient plaider la cause de la commune de Paris auprès du gouvernement de Versailles, ils marchaient à une banqueroute dont l’intervention de l’état pourra seule peut-être les préserver.

La vérité est que malheureusement en France il y a encore une inexpérience singulière de la vie publique, et rien ne le prouve mieux que les préliminaires des élections qui vont se faire demain pour compléter l’assemblée nationale. Ce qui sortira de ce scrutin, il serait en vérité difficile de le dire. Cette grande manifestation publique se fait en quelque sorte à tâtons, et cependant ces élections ont évidemment une importance exceptionnelle, puisqu’elles peuvent modifier la majorité de l’assemblée, exercer une véritable influence sur la direction de la politique ; elles ont surtout de la gravité à Paris, où, pour la première fois depuis la défaite de la commune, la population est appelée à dire son mot, et c’est peut-être à Paris qu’il y a eu le plus de difficulté, qu’on a eu le plus de peine à former des comités, à s’entendre. À coup sûr, s’il y eut jamais un moment où il fût naturel et facile de s’entendre, c’est le moment où nous sommes. Le programme est tout simple. La république existe sous l’unique réserve des droits de la souveraineté nationale ; elle est gouvernée par M. Thiers, qui, après avoir délivré Paris de la plus immonde usurpation et après avoir rendu la paix à la France, se fait un honneur de présider à la réorganisation du pays. N’est-ce pas là un programme net et franc, de nature à rallier tous les esprits sincères ? Pas du tout, il faut encore se diviser, il faut opposer les comités aux comités, l’union républicaine à l’union parisienne, et tout cela pour mettre quelques candidats à la place d’autres candidats, pour ajouter à la confu-