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sion. Pendant ce temps, le radicalisme se remet à l’œuvre et arrive avec sa liste, où sont inscrits un certain nombre de fauteurs de la commune à côté de quelques autres qui n’auraient pas demandé mieux que de la voir triompher. M. Gambetta a le singulier honneur de figurer dans cette galerie de candidats de la commune, et M. Victor Hugo a aussi sa place dans cette glorieuse élite à côté d’un ancien restaurateur. Le mélange est complet. Que M. Hugo donne fraternellement la main à ceux qui ont abattu la colonne et qui ont mis le feu à Paris, ce ne sera pas après tout beaucoup plus extraordinaire que la lettre qu’il écrivait, il y a quelques semaines, pour offrir un asile aux fugitifs de la commune. Nous serions un peu plus surpris que M. Gambetta, s’il a quelque souci de son avenir, acceptât de rentrer à l’assemblée par cette porte. Qu’il développe son programme politique comme il vient de le faire à Bordeaux, qu’il atteste ses convictions républicaines, rien de mieux ; mais, franchement, laisser traîner son nom sur une liste fabriquée dans l’ombre par quelques séides honteux de cette commune dont il a lui-même stigmatisé les crimes, ce ne serait ni de l’orgueil, ni même le fait d’un homme sérieux. Au point où en sont les choses aujourd’hui, il faut choisir ; il faut être avec la république légale, avec la France ou avec les usurpateurs qui ont expiré dans le sang et le feu. Le discours de Bordeaux place M. Gambetta dans la première catégorie ; l’inscription de son nom sur la liste qu’on fait courir le placerait dans la seconde : c’est à lui de se prononcer et de dissiper cette équivoque. Quoi qu’il en soit, et sans oublier les étranges surprises que Paris nous a ménagées plus d’une fois, cette liste a vraisemblablement peu de chances à l’heure où nous sommes, elle en a sans doute aussi peu que M. Haussmann, qui a eu, lui aussi, quelque velléité de se présenter comme candidat à ses anciens administrés. Elle doit échouer, cette liste, devant le bon sens de la population parisienne, et ce sera fort heureux pour la république d’abord. Qu’on se souvienne de l’étrange effet produit par les élections parisiennes du 8 février ! La république en a souffert plus qu’on ne croit, et s’est trouvée compromise auprès de bien des esprits. Que serait-ce donc si au lendemain des exploits de la commune, dont quelques-uns des députés du 8 février ont été les héros, les élections du 2 juillet avaient le même caractère ? Mais c’est surtout Paris qui se frapperait lui-même, et qui paierait les frais de sa fantaisie électorale. Il trancherait du coup la question de la capitale, et ce n’est pas de quelques jours qu’il verrait revenir les pouvoirs publics, ou qu’il se réconcilierait avec la province. Non, nous n’en sommes plus là, les mauvais rêves sont passés ; c’est le moment du bon sens, de la raison, du patriotisme, et Paris voudra prouver sans doute qu’il doit avoir sa part, la première comme autrefois, dans l’œuvre de la reconstitution nationale. Il sera demain au vote comme il a été hier à l’emprunt.

CH. DE MAZADE.