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taxes, de régler l’emploi de l’argent; le bon sens des Anglais ne comprendrait pas qu’on pût délibérer sur des contributions sans être un contribuable. Ajoutons que, dans cette Angleterre qui est en tout l’opposé de la France, on ne voit pas que les assemblées paroissiales et municipales aient seulement la pensée de s’occuper de la politique générale du pays; c’est peut-être pour cela que le gouvernement ne pense pas non plus à se mêler des affaires locales. A chacun sa sphère et son indépendance, comme à chacun sa responsabilité[1].

La Prusse est sans nul doute un des pays de l’Europe où la centralisation et la réglementation fleurissent avec le plus d’éclat. Elles n’y étouffent pourtant pas la liberté autant qu’on pourrait le croire. Il est vrai que la province prussienne, comme le département français, est toujours administrée par un homme qui lui est étranger, et qui est un fonctionnaire du pouvoir central; mais à côté de lui il y a une diète provinciale. Celle-ci est composée, à la façon d’autrefois, de trois ordres distincts, qui sont la noblesse, la population des villes et la population rurale. Cette sorte de représentation, qui aujourd’hui ne manque pas de paraître fort étrange à des Français, a du moins un mérite, c’est de représenter exactement la population telle qu’elle est, c’est-à-dire avec ses faces diverses, ses inégalités, ses divergences d’intérêts. En France, le système d’élections semble avoir été arrangé tout exprès pour qu’il n’y ait jamais qu’un seul intérêt ou l’intérêt d’une seule classe qui soit représenté. Les Allemands veulent qu’une diète provinciale soit l’image exacte de la population d’une province, qu’elle en renferme tous les élémens, qu’elle en contienne tous les intérêts, tous les besoins, toutes les idées. Quelle confusion! direz-vous. Bien au contraire, ces diètes provinciales délibèrent avec calme, et ne perdent pas de temps à d’inutiles disputes. C’est notre manie d’unité et d’uniformité qui enfante l’agitation, parce que dans notre système il se trouve infailliblement quelques intérêts qui sont sacrifiés et opprimés. Dans les diètes prussiennes, tous les intérêts sont en présence ; égaux en force, il faut bien qu’ils se respectent mutuellement : par nécessité ou par sagesse, ils se mettent d’accord et vivent en harmonie.

Ces diètes ont des attributions un peu plus étendues que nos conseils-généraux. Elles votent les impôts; elles règlent les dépenses, elles délibèrent même sur les projets de loi qui intéressent la province, et ont ainsi quelque part dans le pouvoir législatif. Dans une foule de cas, elles prennent des arrêtés, comme si elles étaient des corps souverains, et le gouverneur doit exécuter leurs décisions. Parmi les actes impor-

  1. Le mécanisme, aussi sage que libéral, des paroisses anglaises a été d’ailleurs déjà exposé ici d’une manière très complète par M. Paul Leroy-Beaulieu. Voyez la Revue du 15 mai 1871.)