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ment les fonctionnaires inférieurs, et statuent sur tout ce qui concerne les intérêts du comté; mais ces juges de paix sont nommés par la reine. Il semble donc que le comté soit régi par les agens du souverain, et que l’administration anglaise soit la plus centralisée et la plus despotique qu’on puisse imaginer. C’est que l’Angleterre est le pays du monde où les apparences répondent le moins à la réalité. Ces shérifs et ces juges de paix, quoiqu’ils tiennent leurs fonctions d’un brevet de la reine, sont fort loin d’être les agens dociles du pouvoir central. L’Angleterre a trouvé le secret d’avoir des fonctionnaires indépendans, et ce secret consiste à ne pas les rétribuer. La plupart des fonctions administratives sont gratuites, et c’est assez pour que la centralisation excessive et l’oppression soient impossibles. Comme les shérifs et les juges de paix ne reçoivent pas de traitement, il faut nécessairement les choisir parmi les habitans du comté, et parmi ceux à qui leur fortune assure le loisir et l’indépendance. Ils sont nommés par la reine, et officiellement ils ne sont que ses représentans; mais ils se trouvent être en même temps les propriétaires les plus riches, ou les hommes les plus en vue et les plus considérés du comté : ils tiennent au sol non-seulement par le domicile, mais encore par les intérêts et par l’affection. Ils sont non pas les hommes du souverain, mais les hommes du comté. Quand vous les voyez réunis dans leurs sessions, vous avez sous les yeux pour ainsi dire le comté lui-même dans ce qu’il a de plus notable, de plus intelligent, de plus influent, et, quand on dit qu’ils administrent le comté, cela signifie que par leur organe le comté s’administre lui-même.

Les villes anglaises ont des conseils municipaux, et les villages ont des assemblées de paroisse. Ces conseils et ces assemblées statuent souverainement sur toutes les affaires d’intérêt local, fixent leurs taxes, règlent leurs dépenses, tracent leurs routes, entretiennent leurs établissemens de charité, sans avoir même besoin de l’approbation du gouvernement central. Ce sont de petites républiques. A première vue, on croirait que la démocratie y règne avec ses agitations et ses ignorances; il n’en est rien. Contre les dangers de la démocratie, l’Angleterre a un palladium : c’est la taxe des pauvres. Cette institution lui est utile, non pas en ce qu’elle lui permet de satisfaire quelque peu et d’endormir les appétits du pauvre, mais en ce qu’elle est un admirable prétexte pour écarter de la gestion des intérêts communaux ceux qui y porteraient le trouble. En effet, pour être membre de la paroisse, parishioner, il ne suffit pas d’y être domicilié; il faut encore être inscrit parmi ceux qui paient la taxe des pauvres. Voilà d’un seul coup tous les assistés, tous les exempts d’impôts, tous les inconnus et les nomades, qui se trouvent exclus du suffrage. Quoi de plus naturel? L’objet principal de ces assemblées est de répartir les secours, de fixer le chiffre des