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révolution a ses théologiens, elle a ses mystiques et ses dévots, elle a même ses tartufes, ce qui complète une religion. Tout est saint, tout est sacré en elle; le rite par lequel on l’honore, c’est de l’imiter de point en point. On reproduit avec une laborieuse exactitude sa rhétorique pompeuse et les brusqueries de son langage, ses grandes phrases et ses gros mots, les attitudes et les gestes de ses personnages. Trop heureux ceux qui, à force de soins et d’études, sont parvenus à ressaisir quelques traits de ces types consacrés ! Chacun veut se tailler un rôle dans cette histoire, et détacher de la grande toile quelque figure dans laquelle il essaiera de s’introduire. Vous avez naguère entendu Camille Desmoulins : c’était presque sa désinvolture et sa cruelle impertinence, — c’était tout lui, moins la meilleure part, ses accès de sensibilité vraie et ses beaux mouvemens d’âme. Vous avez frémi en reconnaissant la grande voix de Danton : oui, vraiment, c’était sa voix, c’en était la sonorité et l’éclat; il y manquait la foudre, l’avocat perçait sous le tribun. Marat, nous l’avons vu passer, il y a quelques jours, sur la scène que le sinistre acteur a de nouveau inondée de sang; mais le vrai Marat aurait horreur de celui qui faisait son personnage, et qui a réussi, grand Dieu! à diffamer Marat. Celui-ci dénonçait et poursuivait ses victimes, il ne les exécutait pas. Barrère, je l’ai rencontré hier; c’est toujours le révolutionnaire à la langue mielleuse, prêt à monter son âme mobile à la note de tous les événemens. Tout cela ressemble à une mascarade sanglante, à quelque lugubre et atroce plaisanterie. Parodie misérable! c’est 93 moins la conviction ardente, un 93 tout artificiel, et, puisqu’il est convenu que la terreur a été une religion, disons que la terreur qu’on a voulu rééditer devant nous était plus monstrueuse et plus criminelle que l’autre, car c’était une religion sans la foi.

On a joué avec ces terribles souvenirs, on a essayé de les transporter dans notre histoire. Ce que cet essai nous a coûté, nous le savons maintenant, et ce qui fait horreur dans ce jeu sinistre, c’est de penser que ce n’était qu’un jeu. En avons-nous fini au moins avec ces parodies? Il faudrait en finir d’abord avec cette littérature théâtrale qui a enflammé tant de jeunes cervelles, et leur a imprimé l’idée fixe de recommencer ce temps, ces événemens, ces hommes. Proscrivons à tout prix par la discussion, par la critique, par le mépris, cette école insensée qui fait de la révolution non plus un moyen, mais un but, son propre but à elle-même, comme une autre école, qui s’est ralliée à celle-ci dans ces derniers temps, faisait autrefois de l’art pour l’art. Deux niaiseries qu’on nous donne pour également sublimes, mais qui sont inégalement graves par leurs conséquences : l’une n’exposant que ses