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lège et des écoles dans les luttes âpres de la vie, parmi les tentations ardentes de la société moderne, dans le conflit de leur misère avec la richesse étalée de toutes parts, avec le pouvoir dont le prestige brûlait leurs yeux et attirait invinciblement leurs rêves. Toute étude sérieuse des conditions de l’existence sociale, du progrès des peuples et du prix auquel il s’achète, toute méditation approfondie sur les lois véritables de l’histoire, l’inanité de certains grands mots, la vanité de certaines formules, ou sur les crimes trop réels déguisés sous des noms pompeux, tout cela leur était étranger. L’histoire judicieuse, véridique, fortement motivée de la révolution n’était pas faite pour leur plaire ; ils se souciaient médiocrement de l’enseignement des maîtres qui l’ont ramenée à la vraie perspective en réduisant les hommes à de justes proportions. Il leur fallait plus de fantaisie, c’est-à-dire plus de mensonge. Ce n’était pas le drame des idées qui attirait leurs esprits vains et faibles; c’était le tumulte des faits, l’agitation des places publiques, les scènes de la convention, les épouvantes de la Conciergerie; moins que cela, l’appareil théâtral, la mise en scène, les écharpes, les panaches, la défroque des acteurs, les harangues et les disputes, l’emphase et les injures; c’était aussi la partie romanesque, les élévations soudaines et les renversemens de fortunes, les splendeurs et les ruines passant comme dans un rêve éblouissant et sinistre, d’où se dégageait à leurs yeux la grande idée illuminée par les feux de Bengale de la poésie et de la rhétorique, aperçue de loin comme dans une apothéose.

Notre génération a été nourrie de ces spectacles, de cette fantasmagorie, où la révolution française fait la figure d’un drame à décors et à grandes phrases. Qui donc a caressé ces imaginations frivoles en les repaissant d’un faux idéal à propos de ces événemens et de ces hommes que le plus simple devoir était de ramener à la mesure de la moralité humaine? Qui donc a exalté cet enthousiasme maladif d’esprits violens et faibles pour une époque où de si grandes, de si nobles aspirations furent si follement compromises, si tristement souillées, pour une époque enfin qu’il faut craindre de flatter de peur de devenir le complice de crimes inexpiables dans le passé ou d’imitations funestes dans l’avenir? La réponse est sur toutes les lèvres. Nous les connaissons ces poètes et ces rhéteurs qui ont transfiguré comme à plaisir cette histoire pour avoir le droit de la glorifier par des dithyrambes sans fin ou par des amnisties sans réserves. Voilà les vrais coupables.

Ainsi s’est créée parmi nous la religion, c’est trop peu dire, l’idolâtrie de la révolution, infaillible, impeccable, immaculée : c’est un culte soutenu par l’imagination plus encore que par la passion. La