crut point au-dessus de ses forces. Malgré sa légitime impatience, il consentit à différer cette attaque décisive sur laquelle tout le monde comptait encore pour percer les lignes prussiennes et opérer une jonction avec les forces de la province. Bourgeois et ouvriers, tous se mirent à l’œuvre avec une activité fébrile, et, telle qu’autrefois Carthage assiégée par les Romains, la ville devint en quelques jours un immense atelier où s’organisa la défense, terrible et savante, comme l’était l’attaque. Chez nous cependant, on redoublait de vigilance ; chaque nuit, cinq cents hommes montaient la garde sur les remparts. Combien d’heures ai-je passées ainsi, le fusil au bras, les yeux fixés sur l’horizon, tandis que ma pensée s’égarait en mille détours ! Un soir, il m’en souvient, j’étais de faction à l’extrémité du bastion qui regarde Paris : toute la rive gauche, avec ses maisons et ses monumens, s’étendait à mes pieds ; une sorte de brouillard lumineux montait de la grande cité comme d’une fournaise, en même temps qu’un long murmure vague où se mêlaient le bruit des voix, le roulement des voitures, le fracas des machines. Par intervalles, un sifflement aigu déchirait l’air, et le chemin de fer de ceinture passait, portant des vivres et des munitions, la nourriture des hommes et la pâture des canons. Une longue ligne de lumières, se détachant sur un fond sombre, marquait le cours de la Seine et le quai de Bercy. En face, au loin, sur les hauteurs, à Villeneuve-Saint-George, à Chevilly, à Thiais, des lumières brillaient aussi ; mais c’étaient les feux prussiens, et mon cœur se gonflait de rage quand je songeais à l’insolent ennemi qui nous tenait ainsi bloqués. En ce moment, le vent m’apporta le tintement lointain d’une cloche qui sonnait minuit. Je reconnus l’horloge du Panthéon, je la reconnus entre toutes : bientôt en effet de tous les édifices publics, de tous les couvens, de tous les clochers, partit un furieux concert d’horloges sonnant l’heure à leur tour ; mais nulle n’avait la voix grave et douce, un peu lente, de la cloche du Panthéon, cette voix que j’aimais pour l’avoir entendue si souvent. Maintenant ses accens m’arrivaient encore, mais j’étais devenu soldat ; la France était vaincue, notre sol envahi, Paris assiégé, affamé, et les Prussiens campaient à 3,000 mètres de la rue Soufflot.
Tous les forts avaient été munis de feux électriques pour surveiller l’approche de l’ennemi, car nous pouvions nous demander encore si les Prussiens ne tenteraient pas d’entrer dans Paris par surprise. Les appareils étaient confiés aux soins de timoniers expérimentés ; on s’en servait pendant les nuits sans lune. La lumière, projetée à 2,000 mètres, courait d’un endroit à l’autre, s’arrêtait un moment, et partait de nouveau pour éclairer toute la campagne dans ses moindres détails : arbres, taillis, maisons, se détachaient nets et précis au passage de cette clarté soudaine ; les rayons lu-