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églises d’Orient et d’Occident, en parlant avec amertume du schisme de Photius.

Au fond, cette politique, si contraire aux traditions et aux véritables intérêts de la France, nous était inspirée par l’Angleterre, qui considérait comme avantageux pour elle tout ce qui fortifiait l’empire turc, comme dangereux tout ce qui l’affaiblissait. Après nous avoir entraînés à leur profit dans la guerre de Crimée, nos habiles alliés nous faisaient partager les inquiétudes que leur causaient les sympathies présumées des Grecs pour la Russie. Ils nous montraient à Constantinople l’obstacle qui devait arrêter l’ambition moscovite, en Grèce le point d’appui que les Russes trouveraient un jour dans leurs projets de conquête. C’est en effet un axiome de la diplomatie anglaise en Orient, que les Grecs, rapprochés des Russes par la communauté de la foi religieuse et de la haine contre les Turcs, sont les instrumens désignés de la politique des tsars. Rien de plus vrai, si on se place au point de vue exclusif de l’Angleterre, si on veut maintenir à tout prix l’intégrité de l’empire ottoman, et forcer les populations chrétiennes à subir indéfiniment une domination qu’elles détestent. Rien de plus faux au contraire, si on admet le droit des races opprimées à conquérir leur indépendance, si, en vertu d’un principe d’humanité supérieur aux calculs de la politique, on laisse un libre jeu aux forces nationales qui s’agitent sous l’apparente unité de l’empire ottoman. Les Grecs des provinces turques n’ont qu’une pensée, celle de s’affranchir, mais ce n’est pas pour retomber sous le joug des Russes après avoir échappé à celui des Turcs. En demandant à vivre libres, ils ne servent aucun intérêt qui leur soit étranger : ils obéissent à l’instinct le plus sacré de la nature humaine. L’Angleterre n’aurait aucun grief à faire valoir contre les Grecs, si elle ne contrariait elle-même leurs vœux les plus légitimes. C’est elle qui paraît les jeter quelquefois dans les bras de la Russie en mettant des obstacles à une émancipation que les Russes, plus avisés, feignent d’encourager. Qu’on intervertisse les rôles, et que les Anglais se montrent à leur tour plus favorables que les Russes à l’indépendance hellénique, il ne restera pas en Grèce un seul partisan de la politique moscovite. Il ne se mêle en réalité au sentiment national des Hellènes aucun attachement particulier pour la Russie, aucun désir de lui être agréable, aucune affinité de race. En revendiquant une nationalité indépendante, ils travaillent pour eux, pour eux seuls, sans aucun souci de ce qu’on pense ou de qu’on espère à Saint-Pétersbourg.

Peut-être même les Russes inspirent-ils plus de défiance aux Grecs qu’aucun autre peuple à cause des projets ambitieux qu’on leur prête. On veut bien en Grèce faire cause commune avec eux