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spire plutôt de l’estime et du respect. Quant au Français, pour lequel la langue populaire n’a inventé aucune qualification dédaigneuse, il figure dans quelques chants nationaux, notamment dans les chansons souliotes, comme le type du courage et de l’esprit chevaleresques.

Voilà pourtant le peuple que l’Angleterre et la France accusaient pendant la guerre de Crimée de soutenir en Orient les intérêts des Russes. Notre diplomatie ne voulut pas comprendre alors que ce qui séparait les Grecs de nous, c’était non pas leur attachement pour la Russie, mais leur haine contre le Turc, autrefois combattu, maintenant protégé par nous. Ce n’était pas la querelle des Russes et des puissances européennes qui touchait la race hellénique ; c’était son propre intérêt engagé dans la question, la crainte qu’elle éprouvait de voir la Turquie sortir du combat plus forte, d’attendre le plus longtemps la délivrance de la Thessalie, de l’Epire, des îles grecques de la Méditerranée. Pouvait-on demander à un peuple émancipé d’hier, éprouvé par des siècles d’esclavage, de faire des vœux pour ses anciens oppresseurs, pour ceux qui détiennent encore une partie des provinces dont il réclame l’affranchissement au nom des droits du sang, de la communauté de l’origine et de la langue ? Les Grecs sont excusables de s’être placés à leur point de vue, et non au nôtre, pour juger la guerre de Crimée. Il faut se résigner à mettre contre soi leurs intérêts les plus chers et leurs sentimens les plus légitimes chaque fois qu’on ajoutera quelque chose à la force de la Turquie, qu’on rendra celle-ci plus capable de maintenir sa domination sur les provinces grecques de son empire. Et cependant, quoique notre politique d’alors irritât et inquiétât les populations helléniques, quoique la Russie au contraire parût soutenir la même cause qu’elles, les Russes inspirent en Grèce si peu de sympathies et de telles défiances, qu’aucun mouvement sérieux ne se produisit en leur faveur. Il ne se prêcha pas de croisade, il ne se forma pas de corps de volontaires, la jeunesse ne s’enrôla point pour aller servir dans leurs rangs. Quelques patriotes essayèrent même de distinguer la cause grecque de la cause russe en offrant leurs services aux armées alliées qui assiégeaient Sébastopol. Un Grec du Magne, M. Dimitracaracos, de la puissante famille des Mavromichalis, proposa aux deux gouvernemens de France et d’Angleterre de lever un corps de 500 Maniotes qui, en combattant à côté de nos soldats, témoigneraient de la reconnaissance que la Grèce nous garde pour d’anciens services, attesteraient son désir de rester fidèle à notre alliance. Cette offre ne fut point acceptée. On craignit sans doute de s’engager envers les (irecs, et, comme on était résolu à ne rien leur accorder de ce qu’ils espéraient, on crut