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fléchir au prix extrême de 200 francs par hectolitre, rien ne prouve qu’elle se maintiendrait encore jusqu’à 250 fr. Or l’effet de la surtaxe porterait la valeur vénale jusqu’à ce chiffre, si l’innovation financière coïncidait avec la cherté des alcools. Cette réserve faite sur l’exactitude des motifs, il faut reconnaître que cette taxe, si elle n’a pas la propriété de supprimer le vice, avertit durement le consommateur du mal que ces boissons peuvent causer à sa santé. Il est certain que l’élévation du prix des absinthes et alcools produite par la surtaxe n’empêchera pas les mauvaises habitudes; mais l’ivrogne du moins ne suivra point son penchant sans être prévenu par les exigences fiscales qu’il cherche des plaisirs dangereux. C’est parce que cette boisson est peu digne d’intérêt que le ministre propose de la frapper sans ménagement.

Le projet étend les droits de licence (un droit de 20 francs par an) aux bouilleurs de cru, c’est-à-dire aux propriétaires qui brûlent eux-mêmes les vins de leur récolte. Cette disposition ne peut pas être approuvée, parce que le bouilleur de cru n’exerce pas une profession distincte; c’est un propriétaire qui transforme lui-même sa récolte, et son opération est analogue à toutes les manipulations du raisin. La violation des principes serait d’ailleurs inexcusable, parce qu’elle ne pourrait pas s’expliquer par les besoins du trésor. L’exposé des motifs en effet n’évalue pas à plus de 40,000 francs la somme que produirait cette extension du droit de licence.

Les lois en vigueur distinguent, au point de vue fiscal, les bières fortes et les petites bières. Les premières paient un droit de fabrication de 2 fr. UO cent., et les secondes un droit de 60 centimes par hectolitre. Cette distinction disparaîtrait d’après le projet, et toutes les bières seraient soumises au droit le plus élevé, de sorte que l’unification des tarifs se ferait tout au rebours des vœux constamment exprimés par les brasseurs, qui demandaient l’adoption d’un tarif unique sur le pied du droit le plus faible. Si le projet était adopté sur ce point, la taxe serait quadruplée à l’égard des bières faibles, qui, dans les départemens du nord de la France, sont employées, surtout pendant la saison de la récolte, pour rafraîchir les ouvriers ruraux. Cette surtaxe qui grèverait environ 2 millions d’hectolitres paraîtrait d’autant plus exorbitante que les bières faibles sont uniquement consommées par la classe ouvrière, et que la taxe ne serait pas plus élevée pour les bières fortes, dont l’usage est plus particulièrement destiné aux classes aisées. Comme le produit de cette augmentation ne dépassera point 1,200,000 ou 1,300,000 francs, peut-être trouvera-t-on avec nous que la somme est petite par rapport aux inconvéniens politiques de cette mesure fiscale. Nous ne ferons au contraire pas d’objection contre les droits