Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
391
LA REVANCHE DE JOSEPH NOIREL.

cinq ans, nommé Joseph Noirel, aux cheveux châtain-sombre, de taille moyenne, mince d’encolure et d’épaules, nerveux de bras et de volonté, et qui faisait merveilles de ses dix doigts. Sa vive intelligence paraissait sur son visage un peu pâle, qu’allumaient de subites rougeurs. À vrai dire, ce visage n’était pas le plus régulier du monde ; la bouche était trop grande, le nez trop fort. Eu revanche, les yeux gris clairs comme les yeux de certains lévriers, comme l’eau transparente de certains ruisseaux, étaient pleins de mouvement et de lumière ; le regard venait de loin et portait loin. À de certaines heures, on y lisait toute une histoire, qui n’était pas gaie. Le pauvre garçon avait eu de déplorables parens. Son père était un de ces ouvriers à tout faire qui ne font jamais rien. Il avait essayé de tous les métiers, s’était dégoûté de tout, sauf de son inconduite et de sa fainéantise. Rongé de besoins comme d’une incurable lèpre, étranger à tout sentiment d’honneur, ivrogne avec délices, amoureux de sa gueuserie, à peine avait-il travaillé huit jours, il plantait là le patron, faisait le plongeon, disparaissait dans quelque bouge, où s’engouffraient ses sous ; après quoi il rentrait un matin au logis, la poche vide, l’œil éteint, la langue pesante, et disait à sa femme avec un rire épais : — Eh bien ! quoi ? On a fait la noce.

— Retourne d’où tu viens, lui répondait-elle ; il n’y a pas dans la maison de quoi nourrir une araignée.

— Tu mens, répliquait-il ; le galopin a bien dû rapporter quelque chose.

C’était en effet le galopin, c’est-à-dire Joseph, qui dans les jours de misère était chargé de faire aller la marmite. Il partait le matin, par ordre supérieur, avec un morceau de pain sec dans sa poche et un panier au bras, et s’en allait de maison en maison vendre des allumettes ou quêter des aumônes. Malheur à lui quand la recette était maigre ; les camouflets pleuvaient sur ses joues dru comme grêle. Un jour, las de gravir des escaliers et d’être souffleté pour sa peine, il avait levé le pied ; on l’avait rattrapé, roué de coups, ce qui lui avait ôté l’envie de récidiver. Toutefois sa mère n’était brutale que par accès ; sujette à des attendrissemens, pour consoler le galopin des rebuffades qu’il essuyait, elle l’emmenait de loin en loin passer une soirée dans un café chantant, où, les yeux écarquillés, les oreilles béantes, il entendait durant des heures les gargouillades de Mlle Zéphyrine, première chanteuse de l’Eldorado de Lyon. C’étaient là ses fêtes, son paradis intermittent. Le lendemain, il devait recommencer à trotter, à débiter de porte en porte son petit boniment, à pleurnicher pour attendrir ces bons messieurs et ces bonnes dames, triste métier auquel, grâce à Dieu, il ne put jamais mordre ; il le faisait à contre-cœur, l’oreille basse, comme un chien qu’on fouette. Il y avait en lui je ne sais quelle