Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Persans-babistes. Ce mélange de populations si diverses devait être un des principaux intérêts du voyage. Il était curieux de comparer les Hellènes de la Grèce libre à leurs frères soumis encore à une domination étrangère, de voir de près ces Bulgares qui ont soulevé tout d’un coup en Europe une question religieuse si importante, prélude de leur réveil politique, de rapprocher les administrateurs turcs de ce pays de ceux qu’on voit en Égypte, en Syrie, en Asie-Mineure. À un autre point de vue, ce voyage ne pouvait manquer d’un attrait tout particulier. La Roumélie est la Thrace des anciens, ce pays encore mystérieux qui se trouve mêlé aux plus lointaines origines de la Grèce. Les ruines de la Thrace, ses monumens, n’avaient jamais été étudiés. Se pouvait-il qu’un premier explorateur ne trouvât, dans ces contrées une riche moisson de faits nouveaux ? — Le lecteur sait maintenant le lien qui unit entre elles ces pages, écrites jour par jour, souvent sous des impressions très diverses.


Rodosto, 15 septembre.

Rodosto est bien une ville turque ; on y voit des négresses, des hommes qui portent de longues robes de couleurs variées, et des femmes voilées. La première fois que je mis le pied en Turquie, je débarquai à Volo, à quelques heures de la Béotie. La Grèce, malgré son soleil et ses costumes, est occidentale. À Volo, nous rencontrons tout de suite deux employés de la douane coiffés du turban vert, vêtus de longues pelisses grises ; une nourrice, la figure couverte d’une bande d’étoffe gros bleu, étale sans scrupule une puissante poitrine noire comme l’ébène ; un Arabe traîne un dromadaire. Nous sommes en pays oriental ; même pour le voyageur le moins attentif, l’aspect d’une ville grecque et celui d’une ville turque, dès le premier abord, sont très différens.

Rodosto s’étage sur un amphithéâtre de collines. Quand on la voit de la mer, l’aspect en est charmant : des minarets, des arbres verts, des maisons blanches, que faut-il de plus sous cette lumière ? De loin, toutes ces villes de la côte de Marmara se ressemblent ; qui en a vu une les a vues toutes. À l’intérieur, elles ne diffèrent pas beaucoup non plus les unes des autres ; ce sont partout des rues irrégulières, souvent en escalier, toujours défoncées et semées de grosses pierres, de vastes cimetières plantés de cyprès, de longs murs sur lesquels s’élèvent des maisons ornées de schaknisirs, — balcon fermé qui fait partie de la chambre, — d’après l’étymologie persane le lieu où le shah prend l’air.

La ville a deux ou trois khans, ce sont les seuls hôtels du pays ; il faut plaindre le voyageur qui se voit forcé d’y loger. Le khan n’a de bon que les écuries. Les chambres sont des cellules de quelques pieds où vous chercheriez en vain un seul meuble ; les plus belles