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le XVIIe siècle, l’Autriche a gardé le droit d’envoyer tous les huit jours un courrier de l’ambassade qui traverse la Roumélie par Rodosto, Andrinople et Sofia. C’est à ce courrier que l’on remet les lettres importantes et surtout les valeurs précieuses. La poste turque et la poste autrichienne sont servies par des Tatars qui vont toujours au grand trot ; selon le nombre des colis qu’ils ont à porter, ils tiennent en laisse deux et trois bêtes. La force de l’habitude les rend insensibles à tout ce qu’a de dur un métier aussi fatigant ; par la pluie, par le soleil, en tout temps, ils dorment sur leur cheval. On peut, si on le veut, voyager en leur compagnie à un prix modéré ; mais l’étranger qui les a suivis seulement un jour est brisé pour longtemps. Prendre la poste est une école qu’on ne fait pas deux fois en Turquie. Les Turcs semblent ne point s’inquiéter des correspondances ; ce serait là pourtant un service de première utilité. Sur le Bosphore, qui est une longue suite non interrompue de villages et de palais, on n’a aucun moyen d’envoyer régulièrement une lettre ; il faut avoir recours à des exprès, et cependant toutes les demi-heures des bateaux-omnibus font escale aux principaux points. Le contraste est grand avec la Grèce. Dans les cantons les plus reculés, le courrier d’Athènes arrive tous les jours. Un peuple qui a plus de cinquante journaux quotidiens, et qui écrit autant qu’il parle, devait sentir la nécessité des postes.

La population ottomane à Rodosto diminue visiblement. En présence d’une misère qui ne cesse de grandir, les familles nombreuses deviennent très rares ; des gens de noble origine ont un enfant ou deux tout au plus. Il n’en est ainsi que depuis peu ; les chrétiens se rappellent très bien l’ancienne puissance des beys. Il est facile de retrouver dans ce pays l’histoire de ruines très rapides. Amourat-Effendi avait dans sa jeunesse dix ou douze fermes, des haras magnifiques et de belles maisons. Ses régisseurs l’ont volé ; il s’est laissé engager dans des spéculations sur les blés. L’intervention plus active des Européens dans les affaires de la Turquie a rendu impossible cette justice sommaire que les Ottomans exerçaient autrefois à leur profit. Aujourd’hui il est vieux et réduit à de pauvres revenus. « Du reste, disent les Grecs, c’est un brave homme : il prêtait sans compter ; beaucoup d’entre ; nous ont profité de sa bonté, » c’est-à-dire l’ont exploité. La dilapidation est une habitude des maisons turques ; dans les harems riches où il y a quelquefois dix ou quinze personnes, tant femmes du maître que domestiques, les exigences sout excessives ; la clientèle nombreuse dépense aussi de son côté ; une maison qui souvent n’a pas un luxe éclatant épuise une grande fortune faute d’ordre et de comptes bien faits.

Mahomet, pour qui j’avais une recommandation d’un personnage important, est venu me rendre nia visite. Il paraissait soucieux ;