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Qu’on ne s’y trompe pas, les hommes sensés et bien inspirés du parti monarchique qui, vraisemblablement sans y songer, ont contribué à ce résultat, ces hommes ont donné un exemple ; il serait par trop étrange qu’au moment où les légitimistes se séparent de leur prince pour ne point se séparer de la souveraineté nationale, il y eût des républicains persistant de leur côté à mettre la république au-dessus de cette souveraineté même, opposant le droit divin de leur imagination et de leur volonté au droit divin de M. le comte de Chambord. Sans doute les républicains éclairés répudient cette doctrine dictatoriale, et ils ne mettent rien, pas même l’institution qu’ils préfèrent, au-dessus du verdict de la France, unique arbitre de ses destinées et de ses formes de gouvernement. Pour ceux-ci, la souveraineté nationale est le principe supérieur et dominant. Ce que fera la souveraineté nationale sera légitime. Il reste à savoir si les républicains qui ont la prétention d’être les représentans privilégiés de la république pensent de même, s’ils ne se réservent pas ce droit supérieur et antérieur qui n’est qu’un droit permanent de conspiration et de révolution. M. Gambetta, qui vient de rentrer à l’assemblée, a bien eu l’intention de s’expliquer sur tout ceci dans un discours qu’il a prononcé à Bordeaux ; il est malheureusement un peu difficile de voir clair dans ses explications et de savoir ce qu’a voulu dire l’ancien dictateur de la défense nationale, qui semble remonter sur la scène avec l’ambition de devenir le chef du parti républicain. M. Gambetta assure que la république est le gouvernement de droit, que contre le droit il ne saurait y avoir que des prétentions illégitimes qu’on ne pourrait même invoquer, « un consentement surpris à l’ignorance et à la faiblesse, » d’où il suit évidemment que la république est au-dessus du suffrage universel ignorant ou faible. Ceci une fois admis au surplus, M. Gambetta est bon prince ; pourvu qu’on lui passe la république, il ne s’oppose pas à ce que les hommes de toutes les opinions soient admis à gouverner les affaires du pays dans l’intérêt de la république. Fort bien : seulement M. Gambetta ne s’aperçoit pas qu’il fait tout juste le raisonnement de M. le comte de Chambord, qui ne refuse certes pas d’accueillir tout le monde, à la condition que tout le monde commence par s’incliner devant son principe, et, sans établir aucune espèce de comparaison, M. de Persigny, de son temps, dans ses célèbres circulaires, disait exactement la même chose au nom de l’empire. Des libertés, il en avait les mains pleines, il ne demandait qu’à les répandre, — lorsqu’il n’y aurait plus de partis, c’est à-dire lorsque l’empire serait reconnu et accepté par tout le monde « comme gouvernement de droit. »

Voilà comment les opinions les plus extrêmes, les plus opposées, se rencontrent invinciblement sur un point, parce qu’elles ont toutes la prétention et l’orgueil de disposer de la France, parce que chacun veut le droit pour soi, lorsque le droit n’est qu’à la nation, qui seule peut se