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« Le malheur des nobles, en général, naît des difficultés qu’ils trouvent à concilier leur magnificence apparente avec leur misère réelle.

« Le commun des hommes ne soutient son état que par ce qu’on appelle commerce ou industrie ; la mauvaise foi est le moindre des crimes qui en résultent.

« Une partie du peuple est obligée pour vivre de s’en rapporter à l’humanité des autres ; les effets en sont si bornés, qu’à peine ces malheureux ont-ils suffisamment de quoi s’empêcher de mourir.

« Sans avoir de l’or, il est impossible d’acquérir une portion de cette terre que la nature a donnée à tous les hommes. Sans posséder ce qu’on appelle du bien, il est impossible d’avoir de l’or, et par une inconséquence qui blesse les lumières naturelles et qui impatiente la raison, cette nation orgueilleuse, suivant les lois d’un faux honneur qu’elle a inventé, attache de la honte à recevoir de tout autre que du souverain ce qui est nécessaire au soutien de sa vie et de son état. Ce souverain répand ses libéralités sur un si petit nombre de ses sujets, en comparaison de la quantité des malheureux, qu’il y aurait autant de folie à prétendre y avoir part que d’ignominie à se délivrer par la mort de l’impossibilité de vivre sans honte. »

Comment n’être pas frappé de la profonde tristesse empreinte dans ces dernières lignes ? Elle montre combien les pensées qui précèdent sont au fond personnelles à l’auteur, et en même temps elle excuse ce qu’il y a dans ces pensées de déraisonnable et de faux. Celle qui rêvait de telles chimères avait connu le désespoir des malheurs sans remède ; ses pensées semblent avoir parcouru tout l’intervalle qui va de la pauvreté irréparable à l’idée du suicide, Zilia est beaucoup plus Française et Européenne qu’elle ne paraît, et ses plaintes ne lui sont pas inspirées uniquement par la sympathie et la surprise. Elle gémit d’un état social dont elle souffre ; seulement elle voudrait le guérir en exagérant le mal même dont elle est témoin. Les pauvres de toutes les classes ne reçoivent pas assez, elle prétend les mettre à l’aise en donnant tout au roi. Cette idée n’était pas aussi absurde au premier abord qu’elle nous semble l’être aujourd’hui. Comme l’argent que l’on payait au prince semblait la cause de l’appauvrissement, il n’y avait qu’à renverser les choses, le prince au lieu de recevoir donnerait de l’argent à tout le monde. Chacun de ses sujets aurait sa part : quoi de plus simple ? Il suffisait que la large main qui donnerait à tous eût dans ses coffres ce qui était éparpillé dans toutes les cassettes. Et comme on partait de ce principe qui pour beaucoup de gens de notre temps est encore un article de foi, que la provision universelle est inépuisable, voilà tout le monde pourvu d’avance et content. Les grands n’épuiseraient plus leurs ressources pour tenir leur rang et faire figure ; ils ne seraient plus les magnifiques indigens dont Zilia plaint la gêne et méprise le faux luxe.