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Chevaux, équipages, hôtels, maisons de plaisance, tout serait payé par la munificence royale. On ne verrait plus les rejetons d’un sang illustre tombas dans la misère, ni de pauvres veuves de noble lignage vivant d’expédiens. La générosité du monarque ne serait-elle pas indéfinie comme ses trésors? il n’y aurait plus ni ruine en haut, ni détresse en bas, sans compter que le milieu se remplirait de vertus, le commerce n’étant plus obligé de recourir à la mauvaise foi. L’auteur ne s’est pas demandé si ceux qui étaient en bas, où ils recevaient leur pitance, ne demanderaient pas à être en haut, où ils seraient comblés de tous les dons. Cette question était trop indiscrète pour qu’elle y songeât.

Avons-nous le droit de mépriser bien fort l’utopie de Zilia, et celles du temps actuel ne sont-elles pas quelquefois aussi exotiques, aussi grossières? Je n’y vois souvent de différence que dans les mots. A la place du roi mettez l’état; combien de nos systèmes socialistes ne valent pas mieux que les rêves de la Péruvienne! Romans, et, qui pis est, vieux romans, voilà ce qu’il y a au fond de nos billevesées coupables, de nos chimères empoisonnées. Deux différences pourtant séparent celles-ci de ceux-là, le charlatanisme pédant qui s’étale dans les théories, et les crimes qu’elles font commettre.

On parle souvent de parasitisme, et je remarque que ceux qui affectent de se servir de ce mot l’appliquent toujours aux serviteurs des monarchies. Ils abusent de certains scandales dont le souvenir très récent leur fournit ce qu’ils cherchent, des effets oratoires. Il est très vrai que la royauté, en France, a depuis un siècle ou deux entretenu un grand nombre de parasites : parasites de la noblesse, dont les rois avaient commencé la ruine en leur ôtant leur part de gouvernement, et dont ils achetaient la déconfiture en les condamnant à la prodigalité; parasites de la pauvreté, qui sont de tous les temps et qui vivaient alors dans des bas-fonds où la lumière des révolutions ne les avait pas encore atteints; parasites de l’entre-deux, ou de la bourgeoisie, qui ne vivaient ni d’aumônes, ni de pensions sur la cassette royale, mais de l’énorme quantité de petites places dont la centralisation française entretenait la passion et le goût non moins français. Cette habitude de compter sur le roi pour vivre faisait de la cour et de tout le peuple brillant de Versailles un assemblage d’indigens fastueux. Elle s’étale de la meilleure foi du monde dans les lignes que nous avons citées de Mme de Grafigny.

Faut-il croire cependant que le parasitisme soit particulier à la monarchie? Et que dirons-nous de celui d’une certaine république? En 1793, on le couvre du nom de droits de l’homme, que Saint Just définissait le droit de manger du pain; en 1871, on le déguise sous le nom de solde de la garde nationale. Au fond, c’est toujours la même maladie qui dévore l’état, la même plaie qui s’étend de plus en plus. Les révolutions ont bouleversé les conditions sans changer les habitudes. Avant