Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pereur par les puissances occidentales. La mort de ses principaux chefs et la dispersion de ses armées, que le gouvernement impérial vainquit avec l’aide des troupes européennes, rendirent la tranquillité au littoral de la Mer-Jaune. Cependant la défaite des insurgés en 1861 et 1862 n’anéantit pas entièrement cette secte redoutable. A la suite de ces longs désordres, on vit encore, comme il arrive chez toutes les nations qui ont éprouvé des troubles profonds, des bandes de pillards et de brigands qui inquiétèrent longtemps le pays. Les plus formidables de ces révoltés appartenaient aux sociétés secrètes du nénufar blanc; ils prenaient le nom de nien-fei, et paraissaient soumis à une discipline assez sévère. Ravageant les provinces, rançonnant les villages, incessamment recrutés parmi des hommes sans aveu et sans ressources, ils tinrent avec succès la campagne contre les troupes régulières. En 1868, ces bandes envahirent la province de Tché-li, où est située la ville de Pékin. Quoique les rebelles fussent à peine au nombre de 20,000, cinq ou six armées ne pouvaient en venir à bout. Un moment, le généralissime impérial crut les avoir acculés entre ses lignes et la mer; mais les nien-fei s’esquivèrent en bateaux. A l’approche de Tien-tsin, la terreur qu’ils inspiraient fut telle que la colonie étrangère prit le parti de s’armer, et d’appeler à son secours les équipages des canonnières européennes en station dans ces parages.

Au milieu de ces désordres, le gouvernement de Pékin n’avait nulle envie, on le conçoit, de persécuter les Européens, dont l’appui lui était souvent utile; aussi manifestait-il envers les missionnaires, aussi bien qu’envers les négocians étrangers, une tolérance que comportent aisément au reste les maximes relâchées de la religion bouddhique. On vit l’évêque de Pékin, Mgr Mouly, faire sortir dans les rues de la ville la procession de la Fête-Dieu, ce qui était probablement un fait unique dans les annales de la Chine. Les représentans des puissances occidentales se plaisaient à considérer cet acte comme une preuve que les Asiatiques s’étaient promis d’exécuter avec conscience les stipulations du traité de Tien-tsin, quoique ce ne fût, suivant toute probabilité, qu’une indifférence commandée par les circonstances. Toutefois les domaines de l’empereur sont si vastes, l’autorité centrale est tellement affaiblie, que des conflits surgissaient à chaque instant entre les indigènes et les étrangers. C’est assez l’usage d’affirmer que les côtes de la Chine sont ravagées par des pirates. Qu’il y en ait, ce n’est pas douteux; mais les navigateurs européens prenaient souvent pour des pirates les habitans riverains, qui, par haine de l’étranger ou par jalousie commerciale, leur faisaient mauvais accueil. Entre l’équipage d’un navire de commerce et les habitans d’un village du littoral, une querelle sur-